Vivons-nous aujourd’hui une période sans utopie ?

Nos sociétés occidentales sont entrées dans une période sans utopie politique, et probablement pour longtemps. Nous ne croirons plus au salut commun : ni au salut, ni au commun. L’individualisme contemporain et la laïcisation des sociétés sont irréversibles et nous ne rêverons plus à un bien absolu réalisable dans la société. Mais attention : chassez les utopies par la porte de l’histoire, elles reviendront par la fenêtre de l’imagination. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de nouvelles utopies qui naissent. Mais croire qu’il est possible politiquement de construire une cité idéale, cela a à peu près disparu de nos sociétés. 

Dans l’histoire des utopies, en quoi le XXe siècle a-t-il constitué un tournant ?

Le XXe siècle a été celui des « utopies en acte », un autre nom que je donne aux totalitarismes qui se situent au croisement d’un idéal révolutionnaire et d’un programme qui se veut réaliste de transformation politique radicale. Ce qui caractérise les deux grandes utopies en acte du XXe siècle, le communisme et le nazisme – même si elles ne sont pas sur le même plan –, c’est le fait que des idéaux très abstraitement définis de lutte de races et de domination de la race aryenne pour le nazisme, de société sans classes pour le communisme, sont devenus des buts. Chez Marx, il y avait une séparation entre l’idéal et le réalisme politique mais cela change à partir de la Révolution de 1917, lorsque les deux vont s’unir dans un projet de construction d’une société. 

Quelles conséquences pour ce changement ?

Quand l’idéal devient un but, on se met à croire à un bien absolu réalisable. Par conséquent, pour se donner tous les moyens de parvenir à ce bien, il faut commencer par éradiquer le mal. C’est le grand tournant : puisque le bien est hors d’atteinte ou à l’infini, il ne faut pas cesser d’éradiquer le mal – l’impureté de la race ou la propriété privée. 

Le XXe

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