Si l’homme voulait éradiquer l’ensemble des maladies de la surface de la terre, il ne pourrait s’y prendre plus maladroitement. L’Europe pratique une médecine hautement spécialisée. On n’a plus seulement affaire à des médecins spécialistes, mais à des hyperspécialistes. Je constate le même phénomène dans mon domaine, la génétique, où l’on s’intéresse à une pathologie particulière et rarement aux 4 000 maladies qu’elle englobe. Si cette approche a le mérite de soigner des patients souffrant de maladies rares, elle ne peut prétendre faire face aux épidémies et aux pandémies qui touchent régulièrement certaines régions de la planète. Notre médecine, qui se concentre sur le détail, scrutant puis réparant une pièce après l’autre, n’a pas pour aspiration de soigner à l’échelle planétaire. Elle exclut d’ailleurs d’emblée une partie de l’humanité. Extrêmement coûteuse car ultraprécise, elle fonctionne à double vitesse et profite aux plus aisés. Nous devons davantage penser global. Ceci étant dit, je crois qu’aucune médecine ne parviendra à rendre possible un monde sans maladie. On peut tendre vers cet objectif, en faire un axe de recherche stimulant, sans pour autant l’atteindre un jour.

Certains généticiens rêvent pourtant de créer un génome parfait et placent beaucoup d’espoir dans CRISPR-Cas9, une technologie émergente qui permet de couper les parties d’ADN défaillantes susceptibles de favoriser l’émergence de certaines maladies. Il faut comprendre que l’humain est un être imparfait, même s’il ne l’assume pas. Les données de séquençage ADN à grande échelle confirment que nous sommes des êtres brinquebalants de naissance : parmi les 22 000 gènes qui composent notre génome, nous sommes chacun porteurs d’une centaine de mutations clairement défavorables. Ces gènes-là sont nos « faiblesses », qui diffèrent en fonction de chacun. Elles sont innées et font partie de nous, dès l’origine. Vous pourrez sélectionner les deux meilleurs géniteurs en termes de génome, assembler leurs gamètes, vous n’obtiendrez jamais un être parfait car ces mutations existeront toujours. Pourquoi ? C’est la fabrication de la vie qui est ainsi. On sait avec certitude aujourd’hui que notre environnement influence grandement la flexibilité de nos gènes : c’est la découverte de l’épigénétique et, par conséquent, le lien entre ce que l’on vit, comment on vit, et le développement de certaines maladies comme l’hypertension, l’obésité, le cancer ou encore l’infertilité. Or notre environnement évolue sans cesse.

C’est de lui qu’il me semble prioritaire de prendre soin. La génétique, et plus particulièrement CRISPR-Cas9, serait à mes yeux la solution facile qui nous évite de nous attaquer aux problèmes extérieurs au corps humain. Créer un être invulnérable, imperméable à ce qui l’entoure, un homme « augmenté », que l’on nivellerait vers le haut, invincible voire immortel, c’est partir dans la mauvaise direction. Il faut s’attaquer à des problèmes plus larges, comme la famine.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, aux Pays-Bas, des femmes sous-nourries ont donné naissance à des enfants particulièrement touchés par des maladies comme la schizophrénie, l’obésité et certains troubles métaboliques. L’épigénétique a mis en évidence le lien entre ces troubles et la restriction calorique subie par les mères. En commençant par assurer un minimum d’un millier de calories par jour à chacun, ainsi qu’en fixant des objectifs sanitaires minimaux, on observerait des résultats rapidement et à grande échelle. Voici un objectif de base que je viserais sur cinq ans : assurer un patrimoine de santé universel.

Ensuite, il s’agirait d’assainir notre environnement. On sait bien, grâce aux tests pratiqués sur les animaux en laboratoire, que certains composés risquent de nuire à la santé humaine. Or on attend qu’un pic de maladie soit observé pour prendre la décision de les éliminer. D’autant plus que l’on ne connaît pas les conséquences des mélanges de ces produits. On prend trop de risques. Avant de réparer l’humain, d’envisager un génome idéal – un rêve qui, soit dit en passant, traduit en partie une tentation eugéniste –, il s’agirait de protéger les vivants, tous les vivants, pas seulement une petite frange de la population. L’éradication des maladies de la planète est avant tout une question politique de santé publique, de solidarité, avant d’être l’affaire des médecins. 

Conversation avec MANON PAULIC

 

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