1989 a signé la fin d’une période de paix par la terreur entre blocs idéologiques incompatibles. Depuis, jamais la violence guerrière n’a été aussi aiguë. À partir de 2011, on a dénombré chaque année entre 102 000 et 131 000 victimes, dont 90 % dues à une douzaine de guerres civiles et une quarantaine de conflits. Une guerre est définie comme un conflit armé ayant entraîné plus d’un millier de morts, en une année ; un conflit entre 25 et 1 000. La cause première des conflits est une incompatibilité politique telle qu’elle débouche sur l’emploi d’une violence organisée entre un gouvernement et des opposants organisés, chaque camp disposant, dans ce combat asymétrique, de soutiens extérieurs qui internationalisent et prolongent le conflit. L’issue la plus fréquente est la victoire de l’un sur l’autre, faute de possibilité de compromis.

Face à cette réalité si prégnante qu’elle fatigue le public des pays de démocratie d’opinion – arc-boutée sur une vision manichéenne des enjeux (le bon et le méchant) alors que la complexité domine – et semble dépasser les meilleurs appareils diplomatiques – pourtant soucieux de médiations et de scénarios de sortie de crise –, que proposer malgré tout ?

Pour rêver à l’idéal d’un monde sans guerre, tenter de comprendre le réel s’impose, selon la définition du courage par Jean Jaurès, dont on a oublié qu’il fut un partisan de la paix armée. Même les États neutres, comme la Suisse ou la Suède, ont gardé de réelles capacités de défense. L’idéal donc, c’est la prévention, fondée d’abord sur une analyse juste des crises à venir, c’est-à-dire des intentions et des capacités des futurs protagonistes. Les diplomaties occidentales se sont lourdement trompées sur la Syrie, pronostiquant la chute rapide du régime minoritaire pourtant préparé à gagner sa guerre à tout prix, ce qui, hélas, se confirmera cette année.

Quand la prévention échoue, il est loisible de rappeler que les paix, états temporaires des rapports de puissance, peuvent revêtir plusieurs configurations. La guerre froide fut une paix de terreur fondée sur la dissuasion. La paix par le désarmement est une illusion qui a néanmoins diminué le niveau de la violence entre grands États. La paix par l’empire à prétention universelle se veut durable. Sur le modèle de le pax romana du passé, la pax americana a veillé sur l’ordre libéral international fondé en 1945 jusqu’à sa remise en cause de l’intérieur par Trump et de l’extérieur par les puissances révisionnistes ascendantes (Chine) ou en réaffirmation (Russie). La paix par l’hégémonie régionale (américaine en Europe, en Amérique du Nord et en Asie orientale) durera tant que les alliés préfèreront la protection à l’autonomie. Ce serait une solution pour la stabilité du Moyen-Orient en laissant les puissances régionales (Iran, Turquie, Arabie saoudite, Israël) trouver un accord sur leurs zones d’influence et leur sécurité respective. 

La paix par l’équilibre s’est accomplie avec le concert européen du XIXe siècle. Depuis 1950, elle se poursuit sous garantie américaine, dans l’Union européenne actuelle, même si la puissance économique et normative allemande redevient un défi pour les autres, France en tête. La paix de satisfaction suppose confiance, sincérité et réintégration des pays vaincus lors du conflit précédent. Ce ne pouvait être réalisé par la France en 1919 avec le Reich allemand. Ce le fut en 1945 sous pression visionnaire américaine. La paix comme après-guerre ou après-conflit dépend beaucoup de la place faite aux vaincus pour éviter l’humiliation qui nourrit le ressentiment.

Mettre fin aux conflits armés n’est pas supprimer l’incompatibilité mais transformer la confrontation violente organisée en compétition politique, lui donner des règles (cas colombien). Nous ne sommes pas ici dans le « post-conflit » mais dans le déplacement du terrain du conflit. Les accords de Dayton sur la Bosnie (1995) sont à cet égard un précédent utile : ce n’est pas la paix ni même la concorde mais l’absence de guerre civile. C’est bancal mais il n’y a plus de meurtres pour des raisons politiques. La justice internationale est passée, vingt ans plus tard. La politique vient ici avant la morale. 

Idéal suprême, la paix par la loi, c’est-à-dire par le respect du droit international, même si les pourfendeurs de l’ordre libéral international veillent à leurs sièges au Conseil de sécurité des Nations unies. C’est cela le mérite de l’ONU : rappeler le besoin absolu du droit, fait de règles et de raison, malgré ses grandes faiblesses dans ses opérations de maintien de la paix (quinze en 2018). Mais le plus souvent, les États engagés dans des médiations sous couvert des Nations unies cherchent moins à gérer les crises qu’à en tirer profit en fonction de leurs intérêts. C’est pourquoi elles perdurent. 

Comme disait Jean Jaurès en 1903, l’essentiel est de surveiller les événements du point de vue de la paix, c’est-à-dire d’avoir un coup d’avance sur les prochaines crises violentes, toujours prévisibles (Irak, Syrie, Libye, Ukraine) mais dont la prévision dérange les va-t-en-guerre. Car la paix est le bien commun le plus précieux de notre humanité belliqueuse. 

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