Si je dois songer à un monde sans pollution, j’imagine moins un rêve pour l’avenir qu’un retour à un état passé : celui de la région parisienne vue par la peinture impressionniste à la fin du XIXe siècle. Que ce soit sur les bords de la Marne ou sur l’île de la Grande Jatte, ces tableaux montrent des gens se baignant sans arrière-pensées dans les plans d’eau qui entourent Paris. Et je ne peux que me dire qu’il y a là quelque chose de perdu.

Le rêve d’un monde sans pollution, c’est tout simplement le rêve d’un retour à une vie où on pourrait marcher dans les villes et les campagnes, se baigner et respirer, sans jamais craindre que cela ne vous rende malade. Mais ce rêve a un versant cauchemardesque et policier, celui d’un modèle hygiéniste, comme à Singapour où on ne peut jeter un papier par terre sans avoir immédiatement une amende. Un monde sans pollution, pour qu’il soit heureux, ne doit pas être celui de l’inquiétude et de l’obsession de la pureté ou de la propreté. Il doit au contraire gagner en simplicité, restaurer la confiance des hommes dans leur environnement, ne plus les soumettre à cette angoisse de la pollution invisible, qui nous fait craindre, dès que le soleil approche, les pics d’ozone ou les allergies. 

Comment atteindre ce rêve ? Aujourd’hui, les pollutions que nous connaissons sont soumises à un contrôle réglementaire, administratif et judiciaire. Des mesures sont prises, des niveaux de contrôle sont fixés et plus ou moins respectés. Et la solution à la pollution tient aujourd’hui avant tout à des approches techniques : dans le cas d’un secteur très polluant comme l’agriculture, par exemple, on parle désormais d’agriculture de précision, ce qui finalement revient à polluer moins, pour pouvoir polluer plus longtemps. On déverse moins de produits phytosanitaires, certes, mais on le fait quand même. Une autre solution, plus bizarre encore, consiste à manipuler le vivant pour qu’il pollue moins sans qu’on change quoi que ce soit à nos pratiques. On a ainsi cherché à créer des « Enviropigs », des cochons environnementaux censés rejeter des excréments moins polluants, en conservant le phosphore dans leurs corps plutôt que de l’expulser via leurs déjections – et tant pis si leur viande risque à son tour d’être polluée. En Nouvelle-Zélande, où on élève des millions d’ovins et de bovins, on a également imaginé trafiquer les animaux génétiquement pour qu’ils produisent moins de méthane, un gaz à effet de serre. Ce type de recherches, qui croit résoudre le problème de la pollution par des solutions seulement techniques, me semble vain. Car le rêve d’un monde sans pollution passe par un profond changement de nos modes de vie.

Tout le monde dans le fond souhaite renouer avec un monde moins inquiétant, où l’on ne doute pas de l’air qu’on respire ou de la nourriture qu’on mange. Mais la dictature du futur proche est un puissant frein pour nous permettre d’y accéder. Un dessin récent, dans Le Monde, montrait un agriculteur à qui on expliquait que le glyphosate était une menace pour lui et pour tous sur le long terme, et ce dernier répondait : « Certes, mais ma récolte c’est dans six mois. » On est là au cœur du problème : comment à la fois renoncer à sa voiture et à être en vingt minutes au travail le matin ? Pourquoi accepter un inconvénient aujourd’hui en contrepartie d’un avantage qui paraît bien lointain, et finalement assez peu profitable d’un point de vue individuel, égoïste ? La force publique peut prendre en charge des efforts de dépollution, c’est techniquement réalisable, mais le rêve même d’un monde sans pollution ne peut se concrétiser que si l’ensemble de la collectivité prend conscience du besoin de vivre autrement, de vivre mieux. Au lieu de cela, on peine encore à faire valoir la réduction de la vitesse sur les routes ou la nécessité du covoiturage ! 

Les réglementations qu’on connaît sont nécessaires. Mais seul un ensemble de mesures écologiques plurielles, complémentaires, à l’échelle des grandes villes par exemple, pourrait permettre d’enclencher un mouvement de fond, d’encourager des modes de vie alternatifs ou des expériences collectives. Ces trente dernières années ont déjà marqué, de ce côté-là, un certain progrès. Il nous reste à continuer. 

Conversation avec JULIEN BISSON

 

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