Je vivais dans un monde paisible et rassurant. Un monde sans inondations ni sécheresses, sans accidents nucléaires, aériens ou ferroviaires, et sans la moindre collision sur les routes.

C’était un monde à l’abri du cancer, du sida et des attaques cardiaques. On n’y côtoyait que des gens épanouis, ayant soldé tous les traumatismes de leur enfance ; des gens bien dans leur peau, heureux en amour, dont nul ne souffrait de boulimie ou d’anorexie, ni même d’insomnie. 

Ce monde ignorait la pollution et la corruption, les crimes et les guerres. Il ne comptait ni violeurs ni harceleurs, et aucun fanatique n’y tirait sur la foule au nom d’un dieu qu’il s’était inventé. 

Dans ce monde-là, même la mort était douce. Les grands vieillards s’éteignaient chez eux, en bonne santé, au cours de leur sommeil. 

C’était comme dans un rêve… Mais oui, c’était un rêve, brutalement interrompu par le déclenchement d’une sirène d’alarme dans notre rue. Encore un cambriolage ? Une chanson du groupe Téléphone m’est revenue à l’esprit : « Je rêvais d’un autre monde / Où la terre serait ronde / Où la lune serait blonde / Et la vie serait féconde… » 

Puis, le souvenir de rimes plus riches, sur un autre air, m’a réveillé tout à fait : « Quand les hommes vivront d’amour / Il n’y aura plus de misère / Et commenceront les beaux jours / Mais nous, nous serons morts, mon frère… »

Lorsque la sirène s’est enfin tue, le monde enchanté que je venais de goûter se réduisait déjà à des images confuses. Cet éden improbable, curieusement marqué par des carrefours giratoires tous les vingt mètres, était éclipsé par les gazouillis du bébé, réveillé lui aussi dans la pièce d’à côté. 

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