Je suis un numéro

À tes yeux
Je suis un numéro
À tes yeux
Je suis un sans-papiers
Je suis un étranger sans képi


Oui, je suis éboueur
Je me lève tous les jours à 4 heures du matin
Je vide les poubelles avec un souffle de balbutiement
Je trie les déchets à la solitude du cheval
Je nettoie les rues de partout pour redonner saveur à la ville
Je nettoie,

Et pourquoi donc je suis toujours un sans-papiers ?
Pourquoi donc me traiter de la sorte ?
Alors que je travaille à la sueur ébène de mon front
Qu’est-ce donc pour toi, un métier en tension ?
Je suis femme de ménage
J’ai quatre enfants
Oh, je suis une femme seule
Je travaille avec mes compatriotes dans les hôtels de luxe
J’ai un salaire en dessous du smic
Un salaire à couper le souffle
Un salaire de misère.

Et sous les rigueurs de l’hiver
Ma fille sanglote… sanglote de froid
Et moi,
Moi aussi j’ai froid
Mais je ne mendie pas dans les rues
Je ne pleurniche pas dans ton jardin
Pourquoi donc me traiter de la sorte ?

Je suis un sans-abri
Des bénévoles m’ont trouvé dans la rue
M’ont parlé
M’ont accueilli sans jugement avec ma tête d’Africain
M’ont donné l’eau et le pain sans rien demander en retour
M’ont appris ta langue avec amitié
Cette langue du pays d’accueil
Cette langue du pays au pain de ma mère

Maintenant je parle ta langue
Je clame ta langue
J’écris ta langue
Je danse ta langue
Et j’aime ta langue jusqu’à mon être
Car, elle est mienne aussi…

J’aime ta langue jusqu’au fond de moi
Car, elle est littéraire…
Mais maintenant j’ai peur,
J’ai peur de devenir toi.

Je suis un sans-abri
Je viens d’un pays de hautes racines chaudement chaleureux
J’ai un frère et une sœur à la peau d’or-ébène
Et trois demi-frères aux yeux non caucasiens
Mon père est un homme du quotidien
Faisant les petits travaux
Ma mère, oh, ma mère… était d’une grande beauté

Je viens d’un pays enthousiaste et hautement colérique
Mon périple a été long et brutal
Mon périple a été semé de deuil et désolation
Pourquoi donc me traiter de la sorte ?
Alors que tu ne sais rien de moi.

Mais je suis toujours sans papiers
Mes camarades demandent :
L’exil n’est-il pas un métier en tension ?

Oh, que cette terre est mon ciel
Comme le ciel est pareil partout ailleurs
Alors, parle-moi doucement
Et tue-moi humainement
dans la lumière de ton hémicycle. 

 

Illustration : No 29 – 22 octobre 2014 – photo de SAMUEL GRATACAP
Tandis que la crise migratoire s’intensifie, alimentée notamment par la guerre en Syrie, le 1 s’intéressait à la situation des millions de réfugiés à travers le monde. À cette occasion, nous publiions ce portrait de groupe retrouvé sur une plage de l’île italienne de Lampedusa par Samuel Gratacap, vidéaste et photographe qui a effectué en sens inverse le chemin de ceux qui partent d’Afrique en rêvant d’une vie meilleure pour documenter leurs épreuves et les drames de leur condition.

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