Israël et Gaza
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Le massacre du 7 octobre s’inscrit dans une longue série d’attaques provenant de Gaza entre 2008 et 2018. La seule différence, c’est que celle du 7 octobre a « réussi », preuve du fiasco sécuritaire israélien. Les dirigeants du Hamas ont même pu dire combien ils ont été stupéfaits de leur propre succès. Avant le 7 octobre, la majorité de la communauté internationale s’était résignée ou avait accepté le fait que le conflit israélo-palestinien n’avait pas de solution ou que le statu quo, c’est-à-dire la victoire israélienne, était la solution. Depuis le 7 octobre, la réalité géopolitique de la région n’a pas changé. Je note d’abord la crise des grandes puissances arabes traditionnelles – Syrie, Égypte et Irak. Ensuite, l’alliance de fait entre les monarchies du Golfe et Israël face à l’Iran. Et, enfin, un certain retrait des États-Unis. La réalité des deux adversaires n’a pas changé non plus : l’Autorité palestinienne est effondrée et inexistante. Le Hamas est en contrôle de la bande de Gaza et le gouvernement israélien ne veut pas d’une solution politique.
« Peut-on croire à la solution à deux États ? Non à 99 chances sur 100 »
Dans ce contexte, je vois deux types de réalisme possibles. Le premier, teinté d’une dose de cynisme, consiste à dire que tôt ou tard il y aura un cessez-le-feu et que les Israéliens, cette fois-ci, comprendront la leçon et seront beaucoup plus sérieux dans le contrôle autour de la bande de Gaza, avec, certes, la perspective d’une nouvelle bouffée de violence dans cinq ou dix ans, mais d’une situation finalement gérable. Une autre position réaliste est de dire que la situation reste potentiellement explosive. Mon inquiétude a toujours été l’extension au nord du conflit, parce qu’il y a à la fois des Palestiniens qui tirent depuis le Liban, et le Hezbollah qui doit prouver sa solidarité minimale avec les Palestiniens et l’Iran et qui ne peut pas perdre la face en laissant Israël agir comme il veut. Il y a donc la possibilité d’une escalade incontrôlée dans cette zone au nord.
Peut-on croire à la solution à deux États ? Non à 99 chances sur 100. Vous pouvez rêver d’élections en territoires palestiniens et d’une autre direction palestinienne, ou israélienne. Mais, dans les faits, demeure cet élément vieux de près de quarante ans : la colonisation. La colonisation d’Israël en Cisjordanie, ce sont 600 000 personnes au-delà de la ligne verte de 1949-1967. Avec des rectifications de frontières, on pourrait faire rentrer en Israël 450 000, peut-être même 500 000 personnes sans trop de douleur. Mais il en reste 100 000, qui sont souvent des colons fanatisés et armés. Je crains qu’aucun gouvernement israélien ne soit capable de les rapatrier. La Cisjordanie, c’est la terre de la Bible, dans un pays où la religion a quelquefois pris la forme d’un judaïsme messianique. Après le 7 octobre, la solution des deux États est donc vraiment très éloignée, du fait aussi des raisons propres aux principaux acteurs du jeu.
Netanyahou dépend d’une droite israélienne annexionniste, travaillée dans ses pires éléments par le racisme. On assiste au glissement d’un électorat israélien vers l’ultradroite, soit sous l’aspect nationaliste-raciste, soit sous l’aspect religieux, messianiste-nationaliste. Les très religieux étaient à l’origine opposés au sionisme, car ils estimaient que c’était à Dieu de créer l’État d’Israël. Mais ils se sont rendu compte qu’après 1967, le sionisme, même s’il était un mouvement laïque, allait dans la direction d’Israël au sens religieux du terme. On observe aussi la disparition de la gauche, qui n’a pas su s’adapter. Ce pays n’a plus de partis de gauche, plus de parti travailliste.
« Israël connaît la même progression de l’illibéralisme que les démocraties occidentales »
La survie politique de Netanyahou, c’est de s’opposer à la solution des deux États. Le statu quo est de loin la meilleure politique pour l’extrême droite, car dans le cas d’une annexion se posera le problème du statut des Palestiniens. Que faire des Palestiniens qui seront là chez eux ? S’ils ne bénéficient pas de droits politiques, cela reviendra à officialiser l’apartheid, qui selon moi existe déjà en Cisjordanie. Nous aurions un État avec une population considérée comme étrangère sur son propre sol ! Certains disent que Benny Gantz remplacera Netanyahou. Mais Gantz lui-même ne s’est jamais prononcé en faveur de deux États. On est dans une situation où le pays vire de plus en plus à droite à chaque élection, de telle sorte que vous traitez de « parti de gauche » le parti qui était auparavant considéré comme un parti de droite. Israël connaît, avec les particularités fortes qui sont les siennes, la même progression de l’illibéralisme que les démocraties occidentales. Ce n’est pas un hasard si Orbán est le meilleur ami de Netanyahou.
Quant à l’acteur américain, il dit de manière très intelligente : « Je n’ai plus besoin du pétrole et quitte le Moyen-Orient, qui n’est plus une priorité. » Pour lui, l’alliance entre les monarchies du Golfe et Israël est parfaite, car elle fait d’Israël le parrain sécuritaire de la région. Un proverbe qui circule à Washington dit : « Si tu oublies le Moyen-Orient, le Moyen-Orient va te rattraper. » D’une certaine manière, le Moyen-Orient a aussi rattrapé Joe Biden le 7 octobre. Il a découvert qu’une partie de sa gauche était propalestinienne. C’est nouveau, pour un pays qui était unanime dans son soutien à Israël.
Conversation avec ÉRIC FOTTORINO
Illustration : No 468 – 25 octobre 2023 – dessin de une par Anne-Gaëlle Amiot
Moins de vingt jours après le massacre du 7 octobre, les tensions entre, d’un côté, Israël et, de l’autre, l’Iran et ses alliés menacent déjà d’embraser le Proche-Orient. Aucun de ces protagonistes n’a pourtant d’intérêt direct à allumer la mèche, comme le soulignait ce numéro.
« L’Histoire n’est ni une maladie ni un criminel : elle ne récidive pas »
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L’historien médiéviste Patrick Boucheron nous explique comment la décennie l’a confronté à la notion d’événements et nous dit comment historiens et journalistes peuvent nous aider à comprendre l’époque.
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Robert Solé
À partir d’un certain âge, le passage d’une dizaine à une autre peut être déprimant, et même angoissant. Souffler ses 50 ou 60 bougies suscite alors ce qu’on appelle en bon français un birthday blues.