Nous sommes tous frustrés par la lenteur de l’action en faveur du climat – et, moi la première, je m’arrache les cheveux. Néanmoins, il y a un avant et un après accord de Paris. Celui-ci a été conclu en 2015, lors de la COP21, et il trace une ligne dans le sable. 

Cela faisait près de vingt-cinq ans, depuis 1992, qu’on essayait de mettre tous les pays autour de la table pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. À Paris, nous avons réussi à le faire. Et il n’y avait pas seulement les pays, mais aussi des milliers de maires du monde entier, des milliers d’entreprises, des mouvements de citoyens… C’est ce que nous avons appelé la « diplomatie à 360° », une approche qui était balbutiante à l’époque. Tous les acteurs se sont dit : « On ne peut plus continuer à se rejeter la responsabilité. On doit tous, dans la mesure de nos moyens, faire quelque chose pour ce climat. » L’objectif de l’accord est ambitieux : décarboner nos économies pour maintenir le réchauffement global en deçà de 2 °C, et si possible 1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle. 

 

Un moment incroyable sur le plan humain

Ces négociations ont été un moment incroyable sur le plan humain, dans cette capacité à dépasser une vision étroite des intérêts de chacun pour relever un défi collectivement, en tant qu’humanité. Je pense au rapprochement entre les États-Unis et la Chine sur le climat à l’époque, mais aussi à la très forte cohésion européenne, au rôle positif qu’ont joué des pays émergents comme le Brésil ou l’Afrique du Sud… Surtout, les pays les plus vulnérables ont fait entendre leur voix. Pour des raisons morales plus qu’économiques, ils ont forcé les pays les plus riches à afficher une ambition bien supérieure à ce qui était attendu.

« Tout le monde s’est mis à applaudir, à danser… Même les ambassadeurs, même les ministres ! » 

Un moment très marquant pour moi a eu lieu juste avant la séance finale, lors d’une réunion avec les pays les plus hostiles à un accord ambitieux – on y trouvait le Venezuela, l’Iran, la Chine… Il était 4 heures du matin, j’ai expliqué ce qui était dans le texte, et notamment ce qui allait leur déplaire. Et j’ai été accueillie par un très très grand silence. À un moment, j’ai craqué. Je n’avais pas dormi depuis quatre ou cinq jours, je me suis mise à pleurer d’épuisement. Et là, ça a été extraordinaire : ils se sont tous levés, ils m’ont prise dans les bras et m’ont dit : « On te fait confiance, on va le faire. » Je n’oublierai jamais cet instant. 

L’autre moment marquant a été celui où Laurent Fabius a tapé avec son marteau pour signifier que l’accord avait été accepté. Tout le monde s’est mis à applaudir, à danser… Même les ambassadeurs rompus aux négociations, même les ministres ! Il y avait une sorte de communion. C’était vraiment très beau. 

 

La question du climat gagne peu à peu chaque secteur économique

Depuis l’accord de Paris, la question du climat gagne peu à peu chaque secteur économique. Ça a commencé par l’énergie, avec les progrès des renouvelables, les questionnements sur le nucléaire… Ensuite les transports, avec l’électrification – je ne m’attendais pas à ce que ça survienne aussi vite. La question s’est également posée pour l’agriculture : est-ce qu’on continue à manger autant de viande ? Faut-il changer les pratiques agricoles ? Aujourd’hui, on touche au secteur industriel : la chimie, le plastique… L’année prochaine au Brésil, lors de la COP30, c’est la réforme du système financier international qui sera à l’ordre du jour. Il faut revoir le mandat de la Banque mondiale – ce qui est un grand choc –, mais également celui du Fonds monétaire international, car le climat est complètement déstabilisant pour les économies. Et puis on en arrive au moment où l’on réalise qu’on a besoin d’investissements additionnels pour le climat et que certains secteurs économiques ne paient pas ou très peu d’impôts – les secteurs aérien et maritime, les flux financiers, les cryptomonnaies, l’extraction du gaz et du pétrole… Cela aussi est remis en question.

On peut donc être optimiste, en se disant que les effets de l’accord de Paris se font toujours sentir. Mais le problème réside dans l’accélération. Le changement est long et difficile car, depuis le xixe siècle, nos économies sont construites sur les énergies fossiles. Changer cela requiert une transformation très profonde – la façon dont nos villes sont construites, dont on se déplace, dont on se chauffe… Il faudrait aussi repenser l’économie numérique, par exemple, qui consomme énormément d’énergie. Par ailleurs, si le mouvement n’est pas linéaire, c’est que des secteurs gagnent énormément d’argent avec ce système et n’ont pas envie qu’il change. Il faut détricoter tous ces intérêts.

 

« Ça fleurit de partout ! »

Malgré cette lenteur, l’accord de Paris reste une référence, comme l’ont montré en 2019 les manifestations massives des jeunes pour le climat. Et lorsque des citoyens traînent en justice leur gouvernement ou certaines entreprises comme des majors pétrolières, ils se réfèrent aux engagements pris à Paris. À la COP21, Anne Hidalgo avait réuni plus de 1 000 maires pour le climat ; ceux qui s’engagent sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui. Lors de la convention citoyenne, en France, on a vu des personnes qui n’y connaissaient rien devenir très impliquées. D’ailleurs, il existe désormais des organisations de « grands-mères pour le climat », de « pompiers pour le climat »… Ça fleurit de partout ! Même s’il y a des retours de bâton.

Tout cela travaille la société et je crois que c’est le secret des possibilités de transformation : pour traiter un grand problème collectif, on ne peut pas adopter un fonctionnement d’autorité, descendant. On ne pourra régler le changement climatique que par une déconcentration du pouvoir, c’est-à-dire plus de démocratie. 

 

Conversation avec HÉLÈNE SEINGIER

 

Illustration : Hors-série XL – automne 2015 – affiche de GREYGOUAR
à travers ce numéro, le premier de nos formats XL, le
1 se fixait pour mission d’expliquer de façon pédagogique les enjeux de la COP21. Cette grande affiche illustrée s’accompagnait d’un quiz, une façon ludique de mieux s’emparer de ces savoirs.

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