J’ai le sentiment qu’il fallait que ce confinement arrive pour m’amener à profiter de l’espace où je vis. Jusqu’ici, comme j’étais toujours en tournée, je n’avais pas pu prendre le temps de savourer la chance d’être dans une maison du Sud-Ouest avec un très beau jardin, d’observer et d’écouter la nature, de me reconnecter à l’essentiel. Cette période m’a presque sauvé, car elle m’a permis de me recentrer et de prendre plus de temps pour les miens. C’est également un temps qui a été très créatif : j’ai écrit beaucoup de chansons, un deuxième roman, et je travaille à la réalisation d’une mini-série.

Ce ralentissement nous force à repenser nos modèles de développement. Il est vrai que le Covid a brusqué énormément de choses et que pas mal d’entrepreneurs dans le secteur vont s’arrêter de travailler, mais peut-être est-ce parce que le système était construit sur des modèles très fragiles qui ne tenaient pas à grand-chose. Cette crise redistribue les cartes. Malheureusement, beaucoup vont rester sur le tapis, mais, moi, je vois vraiment cela comme une espèce d’arrêt qui permet de mieux repartir.

Nous vivons dans un monde dans lequel les choses ont été construites sur de fausses bases. Depuis notre naissance, nous sommes éduqués pour aller d’un point A à un point B qui est notre travail. Toute la vie nous sommes réduits à essayer d’avancer entre ce point A et ce point B, nous nous épuisons à aller travailler pour le capitalisme, pour que la machine continue à fonctionner, aux dépens de notre existence. Nous dispersons notre énergie à tenter de gagner un peu plus de valeur financière, sans jamais regarder à 360 degrés autour de nous et prendre conscience de tout ce qu’il y aurait à faire d’autre.

Ce qui m’a sauvé dans mon parcours musical, c’est que je me suis posé une série de questions il y a à peu près huit ans : Pourquoi est-ce que je monte sur scène ? À quoi ça sert ? Qu’est-ce que j’apporte réellement à cette société ? Est-ce que c’est vraiment ce que je veux ? Et d’ailleurs, qui suis-je réellement ? Quels sont mes goûts ?

Nous ne fonctionnons qu’à partir de référentiels qui nous ont été proposés sans qu’on les questionne. Notre singularité est complètement tuée dès notre bas âge. On nous a construit un système qui nous amène à être mieux « employables », et on ne profite pas de tout le reste : les vivants autour de nous, et, parmi eux, les herbes, les arbres, qui sont des éléments qui vivent – on a tendance à l’oublier – et qui ne sont pas là par hasard. Nous nous pensons des êtres supérieurs ; nous avons créé des environnements qui nous détruisent, et nous y participons avec une volonté féroce parce que nous avons été éduqués pour penser que c’est ce qui nous rend heureux.

Je suis en train d’écrire un court-métrage. J’y raconte comment les femmes ont résisté et survécu à la colonisation en Afrique à travers la danse. Je décris une Afrique dirigée par les femmes dont le modèle est fondé sur les cultures traditionnelles, en accord avec l’environnement et l’écosystème. Ce retour aux traditions fait partie des solutions pour notre époque.

En tant qu’artiste, nous avons la chance d’avoir une tribune ; j’essaye d’en profiter un maximum pour partager. Pourtant, pendant le confinement, j’ai fait assez peu de lives sur Internet, j’ai refusé pas mal de propositions. J’ai pensé qu’il fallait sensibiliser les consommateurs. Cette période nous a démontré que nous avons un métier hyper important. Dans de tels moments les gens ont besoin de musique et, de manière naturelle, les artistes se sont proposés de jouer gratuitement. Pourtant leur métier fait partie de ceux qui ont été les plus durement et durablement touchés. Ils ne se sont pas dit : « Non seulement mes concerts sont annulés, mais en plus je suis en train de travailler gratuitement. » Il faut faire attention à ne pas trop habituer le public à consommer de manière gratuite.

La Sacem est dotée d’une volonté incroyable. Elle veut faire avancer les choses, mais elle ne peut pas tout faire toute seule. Je lui tire déjà mon chapeau d’avoir proposé – en plus des aides mises en place –la rémunération des diffusions de lives pendant le confinement. On peut espérer que cela représente le début d’une réflexion à mener. 

 

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