À chaque fois que je fais un long-métrage, derrière il y a un confinement… C’est une boucle étrange qui s’est mise en place et qui j’espère va s’arrêter un jour !
La première fois j’étais le seul concerné, ça s’est traduit par onze semaines en chambre stérile et une greffe de moelle osseuse. Je suis entré à l’hôpital le jour de la sortie en salles de La Mécanique du cœur. Pendant ce confinement médical, j’ai écrit Un vampire en pyjama et, le jour de mon opération, j’ai noté le nom de code de celle que j’appelle ma mère biologique (j’ai reçu une greffe de sang de cordon d’une femme qui a accouché en 1999 à Düsseldorf). La vie et des hasards de dingue m’ont permis de retrouver cette femme. En Allemagne, on peut organiser une rencontre après deux ans et un consentement mutuel. C’est ainsi que l’an dernier, je suis parti à vélo électrique de Paris jusqu’à Düsseldorf. 580 kilomètres de voyage initiatique, c’était pour moi une question de légitimité, une façon de mériter mon miracle.
Pendant mon deuxième confinement, celui que nous avons tous vécu, j’ai écrit le livre qui raconte cette aventure-là. C’est ce qui m’a permis de bien le vivre. Mentalement ça allait, mais moralement il faut bien avouer qu’au début ce n’était pas évident. L’annonce du gouvernement m’a fait l’effet d’un coup de massue. Cet enfermement forcé me ramenait à la période de ma maladie et puis, surtout, il me stoppait dans mon élan. Quatre ans que je travaillais sur mon film Une sirène à Paris ! C’était un triple projet, avec le roman et l’album qui sont sortis en même temps. On devait partir en tournée quinze jours plus tard. Ainsi, j’avais trois trains qui arrivaient à fond et, tout à coup, on a donné un coup de frein total. Le corps est projeté vers l’avant, le cœur et l’esprit aussi. Il m’a donc fallu un temps d’adaptation. Je suis loin d’être un sage bouddhiste aguerri, je suis plutôt un nerveux instinctif et angoissé, alors le fait de décrire ce voyage à vélo, et donc d’en revivre la joie épurée, dans un temps lui-même ralenti, cela m’a sauvé.
Je me suis aussi amusé à écrire une nouvelle pour parler non pas du « monde d’après », mais du jour d’après. Elle s’intitule Dasha et le très vieux magicien. J’ai inventé l’histoire d’un patient qui vit dans le haut des Alpes et dont on s’aperçoit qu’il a 180 ans. Son secret : il râpe de la corne de licorne, cela produit une poudre qui guérit tout et qui va lui permettre de soigner le Covid. C’est un conte un peu ironique sur le débat autour de Raoult. Cet écrit ne se veut ni pour ni contre. Le fait que les gens croient savoir m’agace énormément. La réalité c’est qu’à part les médecins et ceux qui font des études sérieuses, on ne sait pas. Et cela va bien au-delà de cette question de l’épidémie. Les gens sont tellement agressifs et cyniques. Ils ne font pas l’effort de la nuance, de se renseigner, de construire une réflexion.
C’est à ce titre aussi que la fantaisie est vitale, elle permet un pas de côté. C’est quelque chose que j’ai défendu dans de petites conférences organisées par les Alliances françaises sur la question de l’imagination dans un contexte soit de guérison, soit d’hospitalisation. Bien sûr, la fantaisie ne remplace ni les proches ni les médicaments, mais dans l’adversité, à certains moments, il faut cavaler seul. L’imagination, ce n’est pas juste inventer des histoires de sirène ou de magicien, c’est développer le muscle de l’empathie. Elle permet de s’évader et de mettre à distance la réalité, pas pour la fuir mais pour s’en protéger. Elle fait office de cocon. Elle crée une brèche dans laquelle on peut se blottir, mais pas seulement : on peut aussi y mettre des choses à fleurir. C’est sûrement pour cela que le confinement n’a pas été si difficile pour moi. L’imagination est une sorte de confinement, mais un confinement choisi. Le fait d’avoir de la fantaisie participe d’une écologie émotionnelle. La vie passe vite, on ne devrait pas se prendre autant au sérieux. Il serait temps qu’on ait un peu plus de poésie et d’humour et même d’autodérision.
Depuis ces deux confinements, j’ai compris qu’il fallait que je réfléchisse au rythme effréné dans lequel je vis. Je ne veux pas faire moins, mais j’aimerais parfois faire différemment. Pour certaines choses, il faut apprendre la patience, même si le désir est pressant. Par exemple, j’ai incroyablement hâte de retourner sur scène et d’y voir les artistes que j’aime, mais je ne crois pas du tout à ce protocole de marquage au sol, à l’idée que les gens viennent avec des masques pour voir les concerts. En tant que directeur artistique des Trois Baudets, j’ai vraiment milité contre cette éventualité. Je pense qu’il faut patienter jusqu’à ce qu’on puisse rouvrir selon des conditions normales. C’est aussi une question financière : si on refait des concerts maintenant, il est évident qu’on ne va pas moins payer les techniciens et les musiciens. Or, si on ne remplit que la moitié de la salle et qu’on n’ouvre pas le bar, ce sera autant d’argent qu’on ne pourra pas réinvestir dans d’autres événements.