Dans la Genèse, Yahvé modèle l’homme (adam) avec de la glaise (adamah). Parce que la terre est « la matière par excellence », commente Francis Ponge. Le poète se méfiait des idées. Il ne se voyait pas bâtisseur de statues mais plutôt taupe creusant des tunnels dans le roc. « Or, la vénération de la matière : quoi de plus digne de l’esprit ? » 

(Ramassons simplement une motte de terre.)
 

Ce mélange émouvant du passé des trois règnes, tout traversé, tout infiltré, tout cheminé d’ailleurs de leurs germes et racines, de leurs présences vivantes : c’est la terre.
Ce hachis, ce pâté de la chair des trois règnes.
 
Passé, non comme souvenir ou idée, mais comme matière.
Matière à la portée de tous, du moindre bébé ; qu’on peut saisir par poignées, par pelletées.
 
Si parler ainsi de la terre fait de moi un poète mineur, ou terrassier, je veux l’être ! Je ne connais pas de plus grand sujet.
 
Comme on parlait de l’Histoire, quelqu’un saisit une poignée de terre et dit : « Voilà tout ce que nous savons de l’Histoire Universelle. Mais cela nous le savons, le voyons ; nous le tenons : nous l’avons bien en mains. »
Quelle vénération dans ces paroles !
 
Voici aussi notre aliment où se préparent nos aliments. Nous campons là-dessus comme sur les silos de l’histoire, dont chaque motte contient en germe et en racines l’avenir.
 
Voici pour le présent notre parc et demeure : la chair de nos maisons et le sol pour nos pieds.
Aussi notre matière à modeler, notre jouet.
Il y en aura toujours à notre disposition. Il n’y a qu’à se baisser pour en prendre. Elle ne salit pas. […]

Pièces © Éditions Gallimard, 1961 

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