Les sols restent un angle mort du droit en tant que milieu vivant. Ils sont abordés principalement sous l’angle de leur surface, de leur occupation et de leur usage. Ils sont aussi envisagés sous celui des risques : inondation, retrait-gonflement des argiles, pollution… Mais cette approche pathologique ne tient compte ni de leurs nombreuses fonctions écologiques indispensables à la vie sur Terre – réserve de biodiversité et de fertilité, captage de carbone, gestion des flux d’eau… – ni de leur caractère fragile, non-renouvelable à l’échelle humaine. Cette perception est toutefois en train de changer, notamment à travers la mise en évidence des nombreux services écosystémiques qu’ils délivrent : ils nous nourrissent en faisant pousser des végétaux, nous abritent en nous permettant de disposer de matériaux de construction comme l’argile, nous vêtent grâce aux fibres végétales, préviennent des inondations…
Aujourd’hui, peu d’outils de droit public permettent de protéger les sols, car cette approche « surfacique » a longtemps prévalu. Le droit de l’environnement a mis en place un vaste système de dispositions de protection de l’air et de l’eau, mais il n’existe pas l’équivalent en matière de sols. On s’est également concentré sur une dimension quantitative plus que qualitative. Depuis la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) de 2000 et la loi Climat et résilience de 2021, qui pose l’objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN), l’idée est de diminuer la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers en luttant contre l’étalement mais sans prendre en compte nécessairement la qualité des sols sur lesquels on construit. Or il pourrait être plus pertinent, par exemple, de concentrer les constructions sur des sols déjà dégradés, au lieu de consommer des sols encore vivants.
Le droit de l’urbanisme offre toutefois quelques pistes : le plan local d’urbanisme (PLU) permet à des élus de mettre en place des coefficients de pleine terre, un outil grâce auquel on peut, sur une parcelle donnée, déterminer le pourcentage de la surface qui ne devra pas être imperméabilisée ou artificialisée. Le zonage est aussi un outil intéressant, quoiqu’insuffisant. En délimitant des zones naturelles, par exemple, on y limitera la construction, préservant de ce fait les sols. Il en est de même pour les zones agricoles, mais certaines cultures impliquent l’utilisation d’intrants chimiques nocifs. Dans le cadre du programme Popsu, nous travaillons sur la notion de « trame brune », c’est-à-dire sur le maintien ou le rétablissement de la continuité écologique des sols en essayant de relier entre eux ceux qui sont encore vivants.
Il y a des signaux positifs : depuis 2021, les sols apparaissent comme concourant à la constitution du patrimoine commun même s’ils ne figurent toujours pas dans la liste des éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation, cités à l’article L110-1 du Code de l’environnement, comme les espaces terrestres et marins, l’air, l’eau, la biodiversité. Mais la symbolique est forte et constitue le premier pas vers un changement de perception de nos sols.
Conversation avec EMMA FLACARD