Derrière sa grosse paire de lunettes se cache un air d’adolescence. À 20 ans, Aniely Silva a conservé un visage juvénile. Celui qui, il y a trois ans, incarna le mouvement étudiant. Longues tresses bleues et noires, piercing en fer à cheval, sourire franc. « Je suis tout ce que le gouvernement déteste, résume-t-elle. Une femme pauvre, noire, lesbienne… et qui réfléchit par elle-même ! »

Lorsqu’elle décide d’organiser l’occupation de son lycée en novembre 2015, c’est le droit à l’éducation pour tous qu’elle cherche à défendre. À l’époque, une mesure annoncée par le gouverneur de São Paulo prévoit la fermeture de 94 établissements et la réorganisation de 754, affectant la scolarité de près d’un million d’élèves. L’école Arthur Chagas, où Aniely poursuit sa terminale, est en ligne de mire. « Ils voulaient fermer le primaire, le collège et les cours pour adultes et ne conserver que le lycée. Ma mère allait faire une croix sur ses cours du soir et mes petites sœurs se seraient trouvées sans école. »

Soutenue par deux amies, Aniely envisage de bloquer l’établissement un matin, dès 7 heures. La nouvelle se propage jusqu’à la directrice qui, furieuse, menace les participants : s’ils manquent les cours, ils seront dénoncés et perdront la bolsa família, une allocation sociale mise en place en 2003 par l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva et dont dépendent à l’époque 14 millions de familles brésiliennes, soit 42 millions de personnes. « On touchait 380 reais (80 euros) par mois sous Lula, puis 189 reais (40 euros) avec Dilma. Temer nous a tout coupé depuis », raconte la jeune femme. 

Soutenue par ses parents, Aniely décide alors d’occuper l’école seulement après les cours. Fière et amusée à la fois, elle se souvient du jour où sa mère a « rapporté un marteau de la maison pour briser le cadenas du gymnase et nous permettre de passer la nuit sur place ». Vingt-neuf élèves forment le groupe de résistance d’origine. Des filles « noires et membres de la communauté LGBT pour la plupart », rapidement soutenues par des enseignants fatigués par leurs conditions de travail, « qui ont commencé à apporter de la nourriture et des couvertures au domicile de mes parents ». 

Un mois après le début de l’occupation, « des explosifs » projetés à l’intérieur du gymnase forcent les adolescents à lever le camp. Aniely soupçonne la principale. « Personne n’a été blessé, mais on a dû partir. » Non sans récompense : l’école a été sauvée et la directrice a fini par démissionner. Entre-temps, le mouvement s’est propagé dans le reste du pays. À l’échelle du seul État de São Paulo, 151 établissements ont été occupés sur une période de six mois. « On ne pensait pas que cela prendrait une telle ampleur. »

Depuis, Aniely a quitté le lycée mais continue de défendre le droit à l’éducation et à l’accès aux savoirs. Elle a récemment imaginé et produit un livret pédagogique sur la question du genre à l’usage des élèves. Elle travaille désormais comme médiatrice dans un centre d’accueil pour LGBT et étudie pour devenir professeure de sociologie, une matière qu’elle estime dévalorisée. « À l’école publique, le programme prévoit cinq heures de mathématiques, cinq heures de portugais et seulement une heure d’histoire et une heure de sociologie. Voilà pourquoi certains jeunes votent pour Bolsonaro, on les prive de cours qui leur permettraient de développer leur esprit critique ! »

Cette année, Aniely va voter pour la première fois pour son président. Elle apportera son soutien au Parti des travailleurs (PT). Elle croit en sa génération pour empêcher le Brésil de prendre un tournant radical. Et elle croit surtout en la voix des femmes, qui représentent 52,4 % de la population en âge de voter. « La plupart d’entre elles n’ont pas encore réalisé l’importance de leur vote. Quand elles le feront, elles se rendront aux urnes et le Brésil avancera. »  

Vous avez aimé ? Partagez-le !