Une seconde chance ?
En tandem avec la journaliste brésilienne Gabriela Costa, notre reporter a rencontré quatre habitantes de São Paulo : Aniely, 20 ans, noire et lesbienne, qui milite pour le droit à l’éducation ; Rebeca, une mère célibataire devenue la figure de proue du combat pour l’avortement ; Edna, chrétienne évangélique, qui, à 50 ans, a pu entamer des études supérieures ; Theresa, une septuagénaire sur le point de s’exiler en Amérique pour échapper au « communisme ». Leurs portraits dessinent le tableau d’une société fracturée et divisée.Temps de lecture : 4 minutes
En périphérie de São Paulo, la pauvreté s’entasse en couches. Bidonvilles, anciennes favelas, quartiers défavorisés se côtoient. Edna Pereira vit dans le quartier de Jardim Valquíria, au sud de la ville. Sa maison de guingois se dresse au tournant d’une rue goudronnée trouée de nids-de-poule, au milieu des débris de construction. Pudique, la quinquagénaire ne reçoit pas chez elle. Il y a des misères qui ne se montrent pas. Elle se demande pourquoi on s’intéresse à elle. Sa vie n’est que celle d’une femme noire de la périphérie, réceptionniste dans un centre médical, dont la priorité est de pourvoir aux besoins de son mari et de ses deux fils.
Edna est une illustration de la grande politique éducative de Lula. Cette année, elle a accompli un rêve auquel elle avait renoncé des dizaines d’années plus tôt, faute de moyens financiers : obtenir un diplôme universitaire. En 2015, à 49 ans, elle rejoignait les bancs de la faculté pour la première fois, grâce au FIES, un système de prêts mis en place par l’ancien chef d’État. Chaque soir pendant trois ans, elle a suivi des cours d’histoire à l’université Estácio de Sá, tout en continuant à travailler grâce à des horaires aménagés. Ce programme, qui concernait 40 % des étudiants de premier cycle universitaire en 2014, permet à ses bénéficiaires de payer uniquement les intérêts de leur prêt durant leur scolarité, soit 150 reais (31 euros) par trimestre. Le remboursement commence véritablement dix-huit mois après la fin du cursus et peut s’étendre sur une période trois fois plus longue que ce dernier.
« Étudier m’a permis d’ouvrir mon esprit. C’est une grande chance », raconte Edna. Si elle a choisi l’histoire, c’est parce que « l’Église y fait souvent référence ». Membre du mouvement évangélique, comme plus de 22 % de la population brésilienne, elle enseigne la religion aux jeunes croyants depuis trente ans. Les débats avec son professeur athée l’ont nourrie et, désormais, elle se sent « davantage capable de contextualiser les choses ».
Si elle « ne nie pas l’impact de la politique de Lula » sur son accès à cette éducation tardive, Edna refuse de voter pour son parti le 7 octobre prochain. Favorable à l’avortement et aux droits des homosexuels, « son idéologie va à l’encontre de celle de l’Église ». Inéligible à la bolsa família malgré ses revenus modestes, elle n’a jamais senti l’impact de sa politique économique. Edna n’offrira pas pour autant sa voix « au détestable » Jair Bolsonaro, contrairement à de nombreux membres de son Église. « Cet homme propage la haine partout où il va. Je préfère m’abstenir de voter cette fois », explique cette femme prête à payer une amende symbolique de 3,5 reais (70 centimes d’euros) à chaque tour pour manquement à son devoir citoyen.
À 52 ans, Edna a retrouvé un emploi dans un centre d’appels téléphoniques. Elle travaille de nuit et gagne moins bien sa vie qu’auparavant. Elle a étudié pour devenir professeure d’histoire mais n’a pour le moment pas trouvé de travail. « Je suis de toute manière trop âgée pour envisager une carrière », se résigne-t-elle. Edna ne demandait qu’à réaliser son rêve de jeunesse, sans pour autant rêver d’une nouvelle vie.
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