Le Baron : les vestiges d’un palace
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– Vous allez à Alep ?
– Oui, j’y passerai quelques jours.
– Alors, descendez au Baron !
– Le Baron ?
– Oui, le palace d’Alep. Superbe…
C’était en 1987. Je suis passé à Alep et je me suis rendu au Baron. Il arrive ainsi que des villes se confondent avec le nom d’un palace : Singapour et le Raffles, Marrakech et La Mamounia, Alep et le Baron… C’est inexplicable et pourtant vrai. Durant quelques décennies, parfois un siècle, tel hôtel incarne le meilleur d’une ville. Né en 1909, le Baron a très vite fait fantasmer.
Lawrence d’Arabie a arpenté sa terrasse dominant les jardins alentour. Agatha Christie a campé sous ses lambris dorés et écrit l’un de ses plus fameux romans – Le Crime de l’Orient-Express – dans sa chambre tandis que son archéologue de mari vaquait à ses occupations dans la campagne environnante. Le général de Gaulle en personne a harangué une petite foule sur cette terrasse décidément très fréquentée.
Que reste-t-il du Baron ? Il n’en restait déjà quasiment plus rien en 1987. L’hôtel avait été racheté par l’État en vue d’une rénovation, pour perpétuer la légende… Les chambres étaient vides. Depuis combien de temps les tapis persans avaient-ils perdu leurs couleurs ? Où donc étaient passés les verres en cristal de Bohême, les grands crus de la cave ? Le naufrage était consommé.
Avec une grande amabilité, l’ancien maître des lieux, héritier d’une dynastie d’hôteliers arméniens, Krikor Mazloumian, avait accepté d’évoquer pour nous les riches heures du palace au milieu des vestiges du jour. Dialogue irréel :
– Nous recevions L’Excelsior, L’Illustration. L’Illustration paraît toujours, je pense ?
– Non, hélas !
– C’est dommage.
Il m’avait reçu sur la terrasse, me parlant dans un français parfait. Il m’avait expliqué l’origine du nom du palace. Les clients, entendant le personnel appeler le directeur Baron, avaient fini par l’appeler ainsi, croyant que tel était son nom alors que baron veut tout simplement dire « monsieur » en arménien. Et Baron, cet après-midi-là, sur la terrasse de son hôtel déjà vendu, me pria d’apposer mon paraphe sur le vieux livre d’or rendu prestigieux par tant de visiteurs illustres. Je ne me rappelle plus si j’ai osé y gribouiller mon nom…
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