La culture est une arme qui nous réveille car elle nous montre une réalité cachée ou estompée. Les artistes nous donnent une vision des choses que nous n’avons pas encore. Ils ont ce don-là. Ils ne décrivent pas le présent, ils sont dans le futur, comme George Orwell lorsqu’il écrit 1984. L’artiste est au centre de tout. Il est celui qui va se lever le matin, qui va réfléchir et qui va partager sa réflexion. C’est là que réside sa force, et sa douleur aussi : il doit accepter de partager ses pensées. Quand on décide de travailler dans les arts et la culture, on se lance dans un combat. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on le fait. Vendre un billet de théâtre, c’est un acte militant. Ouvrir les portes d’un théâtre à une classe, c’est un acte militant. On donne accès à quelque chose qui va ouvrir l’esprit. L’art ne sert d’ailleurs qu’à ça. Au XIXe siècle, en Italie, il y avait un théâtre dans tous les hôpitaux psychiatriques. Tous les soirs, on y jouait un spectacle. C’était une manière de soigner les malades mentaux. Au lieu de leur donner une pilule pour dormir, on les soignait avec de la culture. Elle calmait leur esprit. On sait aujourd’hui combien l’éducation via l’art est importante. Quand des catastrophes politiques arrivent, quand l’extrémisme surgit, on sait qu’à un moment donné, un problème d’éducation s’est posé. Quand on rejette l’autre, c’est un problème d’éducation. La culture permet de ne pas sombrer dans l’ignorance. Il y a une phrase apocryphe à ce sujet que l’on attribue à Winston Churchill. En pleine période de guerre, il devait faire des coupes drastiques dans le budget de l’État. Quand on lui a demandé s’il comptait réduire le budget de la culture, il aurait répondu : « Mais alors pourquoi nous battons-nous ? »

L’art est aussi une arme économique. Quand on veut rénover un quartier, qui appelle-t-on en premier ? Les artistes ! Regardez la ville de Detroit, capitale de l’industrie automobile en pleine décrépitude. On leur a donné des maisons gratuites pour qu’ils s’y installent. On a toujours utilisé les artistes pour revitaliser la ville. Étrangement, il existe très peu d’études sur l’impact économique de la culture. On ne veut pas le reconnaître.

Aux États-Unis, le président Trump a décidé de faire disparaître le budget de l’agence fédérale de soutien à la culture. Cela n’a rien de surprenant ni de nouveau. Depuis 1965, tous les chefs d’État républicains font la même proposition, mais celle-ci ne passe jamais la barre du Congrès. Sous Reagan, l’État fédéral disait ne plus vouloir financer ce qu’il considérait être de la pornographie, de l’art dégénéré, selon lui. C’était l’époque des photos de Robert Mapplethorpe. La grande différence avec Trump aujourd’hui, c’est qu’il n’y a aucune raison avancée. Bien que le budget ne soit pas très important, cette décision va frapper très violemment les États au centre du pays. Pour un musée new-yorkais, 20 000 dollars par an ne représentent rien, mais pour un théâtre du Montana, ce financement fait une vraie différence. Les grandes institutions culturelles américaines vont mener le combat en faveur de ces structures. Elles commencent à s’organiser : occuper l’espace sur les réseaux sociaux, téléphoner aux sénateurs, lancer des pétitions. C’est assez efficace. Mais on peut rester très optimiste. L’art ne disparaîtra pas. Cela fait cinq mille ans que l’on prédit sa disparition. Mais les artistes existent toujours, et ils seront toujours là. 

Entretien réalisé par MANON PAULIC

 

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