Je suis né à Mansourah, la troisième plus grande ville d’Égypte. C’est là que j’ai débuté la musique, quand j’étais adolescent. J’écrivais des chansons d’amour et, vers l’âge de 20 ans, mes textes ont pris une tonalité plus politique. À travers eux, j’ai commencé à exprimer ma colère contre le régime de Moubarak. 

Quand la révolution a éclaté, en février 2011, j’avais 23 ans. Avec mon frère, on est partis au Caire pour soutenir les manifestants et se battre contre la police. J’ai d’abord laissé ma guitare à Mansourah, car je pensais qu’il n’y aurait pas de place pour la musique là-bas. Mais mes amis m’ont encouragé à chanter mes chansons sur la place Tahrir.

J’en ai choisi cinq, celles qui permettaient de créer le plus d’interactions avec les manifestants. Je voulais me servir de la musique pour les encourager à occuper la rue le plus longtemps possible. Et pour cela, il fallait qu’ils puissent chanter avec moi. Il ne s’agissait pas de venir les divertir, mais plutôt d’utiliser la musique comme un outil. À ce moment-là, je n’étais pas encore un artiste, j’étais un simple manifestant qui savait chanter. Et la musique est devenue mon arme de combat.

Au début, je jouais devant cent mille personnes. Rapidement, le public a grossi et dépassé le demi-million. Les manifestants venaient de tous les milieux sociaux, ils avaient tous des mentalités différentes. Il fallait connecter tout ce monde ensemble et la musique y est parvenue car elle est l’outil le plus efficace pour atteindre les cœurs. Lorsque deux personnes chantent une même chanson, elles le font sur le même air. 

La révolution égyptienne m’a fait prendre conscience que la musique est l’arme la plus puissante au monde, car elle est pacifique. J’ai vu dans les yeux des manifestants à quel point elle était capable de les transformer, de remplacer leur malheur par du courage, de changer leurs larmes en éclats de rire. Quand vous êtes sur scène, vous envoyez de l’énergie vers la foule. Et quand la foule se met à chanter elle aussi, elle crée à son tour une énergie d’une grande puissance… Sur la place Tahrir, je me souviens m’être senti l’homme le plus fort sur cette planète. C’est tout le pouvoir de la musique. Je n’oublierai jamais ce sentiment. 

J’ai été arrêté et torturé, le 9 mars 2011, à cause de mes chansons : l’armée aussi avait pris conscience de ce pouvoir. Elle en avait peur, et elle avait raison… Après cinq années de combat contre le système politique et la corruption, j’ai compris que les dictateurs ne peuvent rien contre l’art. Ils peuvent tout contrôler : les manifestations, la révolution, les gens… mais pas l’art. On peut arrêter un artiste, pas sa créativité. 

Entretien réalisé par MANON PAULIC

 

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