Un jour, dans le port de Tadjourah, au nord de Djibouti, une amie s’est immolée par le feu. Elle avait 14 ans. Sa famille avait prévu de la marier de force. Mourir était le seul moyen dont elle disposait pour exprimer sa résistance. En brûlant son corps, elle nous a dit : j’ai soif de liberté.

Quinze ans plus tard, j’écrivais un poème : La Femme qui brûle. C’était une manière de prendre le relais, d’exprimer sa révolte, de continuer à faire entendre son cri. On peut cacher l’action d’un individu, déguiser la violence, faire en sorte que le village n’en parle pas, mais on ne peut cacher le combat de la littérature, ni taire sa voix. Ses mots résonnent loin. 

La littérature n’est pas simplement éloge, elle sait aussi se faire critique de la société. Elle est une lutte pour une société meilleure, un combat utile. Elle permet de s’opposer aux traditions, comme celle de considérer que la femme est inférieure à l’homme. En tant qu’auteur, j’en ai fait l’un de mes combats.

Enfant, je ne croyais pas en l’importance de la culture nomade, celle dans laquelle je suis né. J’ai pris conscience de ses valeurs le jour où j’ai dû la quitter pour aller à l’école. J’ai compris qu’elle était à la fois la nature, la liberté de l’espace, l’immensité du silence, mais aussi le respect de l’autre, l’hospitalité, la capacité d’indignation. Ces valeurs se transmettent par l’oralité, le chant, les proverbes et la poésie : tout ce qui encourage le partage. Mais à l’école, j’ai découvert le livre, la photographie, le cinéma. J’ai appris à connaître Rimbaud et Victor Hugo, et j’ai amené leurs mots dans le silence du désert. La culture n’est utile que si elle se confronte au monde. Une culture qui se ferme n’avance pas car elle ne se questionne pas. Elle doit permettre de s’ouvrir, de partager avec les autres et de comprendre que l’on n’est pas seul au monde.

À l’inverse, l’écriture permet aussi de s’isoler pour réfléchir et prendre du recul. Elle est une lumière dans le chaos de la vie quotidienne. En Afrique, on écrit la nuit, car la journée, l’esprit se perd dans le brouhaha des gens qui parlent, qui marchent, qui ont toujours un problème à régler. La littérature apparaît alors comme une lumière qui te fait voir dans l’obscurité. Elle est une retrouvaille, comme un bivouac que tu fais avec toi-même, dans un espace à toi. Un moment intense d’introspection qui te permet de te demander : ce que je vis, est-ce l’essentiel ? 

Entretien réalisé par MANON PAULIC

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