En 2010, je suis parti en Algérie pour former des danseurs issus de la rue et créer le ballet contemporain d’Alger. En tant que chorégraphe français, il m’a fallu trouver des financements auprès des deux pays. À la surprise de tous, la collaboration s’est très bien passée. C’était la première fois que les ministères de la Culture français et algérien travaillaient ensemble en harmonie. Les projets artistiques ont ce pouvoir : ils créent des ponts. La culture réussit là où la politique échoue : elle rallie les différences. Car les artistes n’ont pas de carrière politique à mener. Ils ne sont pas à la recherche d’électeurs. Ils veulent seulement partager leur expérience. Ils n’ont qu’une seule préoccupation : rassembler le plus grand nombre de personnes possible, sans distinction, pour leur offrir une ouverture et un décloisonnement. Car l’objectif d’un créateur est de toucher le monde entier. 

J’entends souvent dire que la France est multiculturelle. C’est faux : elle est multiethnique. Il existe une seule et unique culture française – celle de Molière, de Boris Vian… – qui donne aux différents individus, quelle que soit leur ethnie, la possibilité de s’unir sans complexe et d’exploiter leurs différences. Cette culture est une arme de terrain. Elle ne passe pas par le discours, elle est concrète. Lorsque l’on implante une compagnie quelque part, on ne produit pas simplement des spectacles. On rassemble dans le travail, dans la discipline. On fait travailler des musulmans avec des chrétiens. À l’automne prochain, ma compagnie va s’installer dans la chapelle Sainte-Marie, à Annonay, la ville dans laquelle je suis né, en Ardèche. Nous allons en faire un lieu d’accueil pour des artistes du monde entier qui viendront s’installer en résidence. Le public pourra y découvrir le métier de danseur. Dans cette petite ville de 16 000 habitants, l’objectif est d’attirer dans cette chapelle toutes les communautés d’Annonay – marocaine, mahoraise, tunisienne, cambodgienne, vietnamienne, turque – et de fonder une maison pour tous. Jusque dans les années 1980, ces communautés se parlaient. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ces dernières années, les politiques ont favorisé le repli sur soi.

La danse rassemble car elle parle un langage universel, celui du corps. Elle raconte une autre histoire. Le corps a le pouvoir de bouleverser les états d’esprit car il parle directement à l’être humain. La danse, c’est le corps face aux autres, et face à soi-même. Il faudrait danser tous les jours, au moins une fois. Et si on ne le fait pas, il faudrait au moins se l’imaginer, car danser est une manière d’être libre. 

En Allemagne, où j’ai vécu pendant quatre ans, les enfants ont des cours de danse, de chant, de musique et d’arts plastiques au programme. Ces disciplines leur ouvrent l’esprit. La danse, particulièrement, responsabilise et fait mûrir. Demander à un enfant de danser face à ses camarades pour la première fois, c’est lui apprendre à accepter le regard de l’autre. Il faudrait plus de culture à l’école française, elle en manque cruellement. L’éducation des enfants ne devrait pas reposer uniquement sur les professeurs, à qui l’on donne une responsabilité qu’ils ne devraient pas endosser seuls. L’éducation devrait aussi être assurée par des artistes rémunérés, qui encourageraient les enfants à créer et à éveiller d’autres sens, les aideraient à comprendre qui ils sont.

Il serait bon de réorganiser l’école, mais encore faudrait-il s’intéresser assez aux enfants. 

Entretien réalisé par MANON PAULIC

 

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