Pour moi, l’élevage industriel est la première des maltraitances. Les animaux ne sont pas faits pour vivre enfermés dans des cages ou des boxes, ni pour manger uniquement de la farine ! Une poule a besoin de gratter le sol, un cochon de le fouiller avec son groin. C’est inscrit en eux. Quant aux vaches, l’herbe est leur alimentation de base.

Ma responsabilité consiste à apporter à mes animaux tout ce dont ils ont besoin. J’élève des bovins de races rustiques. Chacun a son caractère, certains ont des noms... Ils se nourrissent d’herbe, sauf l’hiver, et passent toute l’année dehors, avec un accès libre à l’étable. Je possède également une quarantaine de cochons, élevés en plein air. Je passe du temps avec mes animaux tous les jours, pour vérifier que tout se passe bien.

Le choix que j’ai fait pour l’abattage correspond à ce même souci de bien-être. Charger les bêtes dans une bétaillère, les transporter sur des kilomètres, les faire attendre dans un box à l’abattoir, c’est extrêmement stressant. Lorsque les bêtes ont été achetées par un groupement, elles peuvent traverser la moitié de la France avant d’être tuées !

J’ai eu recours à un abattoir durant deux ans, au début de mon installation, et j’avais le sentiment d’abandonner mes animaux à leur sort. Je n’ai pas d’états d’âme : la finalité consiste bien à les tuer pour qu’ils soient consommés. Mais je veux que ce soit bien fait, que ça ne ruine pas toute ma démarche d’éleveur. Sans compter qu’une mise à mort qui stresse l’animal a un impact sur la qualité de la viande, d’après des chercheurs.

Abattre mes animaux à la ferme est ce que je peux faire de mieux pour eux. Je suis très attaché à ce que rien n’effraie la bête : elle ne quitte pas le lieu où elle a vécu, je l’appelle, elle vient quand elle veut… On n’a pas de cadence à tenir, contrairement aux abattoirs industriels. 

Nous tuons l’animal d’un coup de fusil entre les deux yeux, la mort est instantanée. Il est ensuite saigné dans une pièce que j’ai aménagée pour ça. La découpe et la transformation se font dans un laboratoire, toujours à la ferme.

Dès le début, je me suis entouré de professionnels de l’abattage, car un geste raté suffit à faire souffrir l’animal. Pour les bœufs, je travaille avec un artisan boucher. Je veux que la découpe soit très bien réalisée : c’est une vie qu’on prend, il faut la respecter, ne rien gaspiller. Et, en fin de compte, ma viande n’est pas plus chère qu’en boucherie.

Je pratique l’abattage à la ferme depuis 2007 mais, jusqu’au début de ce mois, j’étais dans l’illégalité. Il est strictement interdit de tuer chez soi, sauf un cochon ou un mouton pour sa consommation personnelle. En dehors de ce cadre, il faut procéder à un examen ante et post mortem en abattoir – il faut juste qu’on m’explique comment cela est possible dans des établissements qui tuent mille cochons par jour !

Quoi qu’il en soit, la viande d’animaux abattus à la ferme n’obtient pas de tampon sanitaire et ne peut donc être vendue ni à un boucher ni à un restaurateur. J’écoule tout en direct, en caissettes. Mes clients connaissent ma démarche et la soutiennent.

Les choses viennent de changer. Notre collectif « Quand l’abattoir vient à la ferme » regroupe des éleveurs, des vétérinaires, des bouchers, des directeurs d’abattoir, des associations de protection animale… Nous avons fait pression et ça a abouti : la loi alimentation, qui vient d’être adoptée, nous accorde quatre ans pour expérimenter la mise à mort dans les exploitations. 

Notre souhait n’est pas du tout de faire fermer les abattoirs ! Nous avons besoin d’eux pour découper les carcasses, traiter les déchets, s’occuper des peaux... Nous voulons juste que les animaux arrivent sur place morts, et non vivants. C’est déjà le cas aux États-Unis, en Allemagne ou en Suède.

Cela peut prendre la forme d’une remorque d’abattage qui se déplace jusqu’à l’exploitation et où l’animal est seulement tué et saigné. Il faut ensuite transporter la carcasse jusqu’à un abattoir dans l’heure qui suit – ce qui est impossible pour les fermes isolées, surtout depuis la fermeture des établissements de proximité. Il existe aussi des abattoirs mobiles : des camions semi-remorque dans lesquels on peut tuer l’animal, l’éviscérer et le dépecer. 

Ces équipements coûtent cher, entre 20 000 et plus d’un million d’euros. Est-ce l’abattoir qui doit acheter le véhicule et proposer ce service comme une extension de son activité ? Ou bien les groupements d’éleveurs, ou encore la région ? Faut-il redonner aux vétérinaires la responsabilité de l’examen ante mortem, directement à la ferme ? Il y a tout un modèle à mettre en place.

De plus en plus de consommateurs soutiennent notre démarche : ils veulent manger « moins de viande, mais mieux », en étant sûrs que les bêtes soient respectées. C’est notre engagement. Comme dit un collègue, l’animal est « bien né, bien élevé, bien tué ». 

En s’inscrivant sur notre site Internet, les gens ont accès à la liste des 400 éleveurs du collectif, à qui ils peuvent commander des caissettes de plusieurs kilogrammes. Pour cette quantité, le déplacement vaut la peine – quitte à partager la viande avec des amis si la dépense est trop élevée ou si la place manque dans le congélateur ! 

Les consommateurs doivent se réapproprier ce qu’ils mangent. Ensemble, nous pouvons remettre du bon sens dans l’alimentation. 

abattagealternatives.wordpress.com

 

Conversation avec HÉLÈNE SEINGIER

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