Chaque chagrin avale son lot de tristesse fugitive
Alors on réchauffe contre nous nos joies répétitives
Caressant les cheveux de notre enfance éthérée
Lui répétant qu’il est encore trop tôt pour crier
On a appris à sourire comme des hommes bien élevés
Pour détourner l’attention de nos sexes souillés
Mais on a oublié de nous montrer comment faire
Pour trouver l’amour et lui prouver qu’on peut lui plaire

Refrain
Mais quand les doutes arrivent, que la honte récidive
Nos joies répétitives savent nous rassurer

On met du noir, du bleu, pour barbouiller nos yeux
Pour faire croire, même si c’est faux, qu’aujourd’hui on va mieux
On boit, on mange entre copains pour parler de nos habitudes
Celles d’hier, celles de demain, pour comparer nos solitudes
On se fout dans le nez ce qu’il nous reste à vivre
Hurlant à tout vent comme on est heureux quand on est ivres
Essayant d’étouffer tout ce qui vient nous rappeler
Qu’on est déjà à l’âge d’or du rebelle attardé

Refrain

On embrasse tour à tour des garçons et des filles
Car pour nous tout ce qui compte, c’est de voir des yeux qui brillent
Mais on rêve secrètement de rencontrer notre amour
Celui qui durera jusqu’à la fin du dernier jour
On accepte de ramper, le regard effacé
La bouche qui veut vomir notre amour ravalé
On pense à cette fois parfaite où on a tout gâché
En laissant s’échapper un « je t’aime » mal placé

Refrain

 

J’organise des concerts depuis quarante ans, assistant ainsi à la métamorphose de la chanson française… Dans les années 1970, nous étions insouciants, légers. Par opposition, la chanson se permettait d’être rebelle, protestataire, porte-voix de nos utopies. Béranger, Lavilliers, Le Forestier, Renaud, Jacques Bertin étaient nos maîtres à chanter. On parlait de chanson engagée… Nous n’étions que des guerriers de salon. Puis la crise est arrivée. Finie la chanson qui revendique, qui conteste. Place à la chanson qui pleure sur nos bobos du mal-être, sur nos petites blessures intérieures que l’on maquille pour les afficher sur notre Facebook, notre Paris-Match individuel. En se recroquevillant sur leur for intérieur, se noyant vite dans un trop-plein de soi, nos chanteurs se sont rangés du côté de la majorité silencieuse… Comme la littérature, comme le cinéma, la chanson a préféré l’intériorisation à l’exploration du grand dehors. 

Et ces chansons nombrilistes, que racontent-elles de nous ? Nos fuites, nos faiblesses d’adolescents attardés souvent lâches. Ce qui n’exclut  pas le talent comme le prouve cette chanson de Pierre Lapointe. 

Écouter les petites misères misérables des autres nous rassure. Il est urgent que notre chanson tourne cette page. Les post-soixante-huitards lâchent enfin prise. Une nouvelle génération prend le pouvoir, collective, positive et pleine d’optimisme partagé. Espérons qu’elle imprime aussi sa couleur et son espoir dans nos chansons. 

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