Albin de la Simone nous accueille dans sa petite cour arborée. Il parle entre deux gorgées de thé et quelques mots affectueux pour les enfants du voisinage qui le saluent en passant.

La question de l’engagement le laisse quelques secondes songeur et peut-être un peu dubitatif. Il se demande si on a toqué à la bonne porte. 

« D’emblée, quand je pense à cette question, j’ai envie de répondre que je ne me considère pas comme un chanteur engagé. » La nuance s’impose aussitôt. « Je me sens pourtant très engagé dans ma vie citoyenne. C’est une question plus individuelle pour moi. Des sujets me touchent même s’ils ne deviennent pas un support d’écriture de mes chansons. L’écologie, par exemple, me préoccupe énormément. » Dans un coin, la trottinette électrique venue remplacer son scooter fait foi. « Je vais volontiers me mettre au service de différentes organisations caritatives. J’espère servir par ma présence les causes auxquelles je crois en chantant, sans pour autant changer une ligne pour l’occasion. En étant moi-même, je peux servir à quelque chose. Ça fait de moi un artiste engagé mais je ne le suis pas dans ma création. » Il développe longuement sur l’association Colibri avec laquelle il termine une tournée, puis les concerts organisés pour les migrants ou en soutien aux homosexuels tchétchènes. 

« Non, je ne suis pas engagé dans le contenu des textes, au sens de l’engagement politique traditionnel, même si je respecte ceux qui savent manier cet outil qu’est la chanson pour faire réfléchir ou évoluer. Je suis souvent gêné par l’aspect frontal, rêche ou inconfortable qu’elle peut revêtir. Une chanson doit rester légère. C’est volatil, ça doit être joli pour demeurer un instant de partage. Sur mon deuxième album je pensais pouvoir m’engager à travers le morceau Notre homme. Je prête ma voix à un enfant victime de pédophilie. Je trouvais cela tellement tabou. C’est un sujet grave qui conditionne énormément la société puisqu’il crée des adultes qui, demain, seront en déséquilibre de pouvoir, de sexualité et, pour les hommes, de virilité. J’ai regretté ma chanson parce qu’elle est trop violente. Certaines personnes du public m’ont confié s’être senties prises en otage car trop concernées. Je me suis rendu compte que je ne laissais aucune porte de sortie. Il faut savoir à la fois être costaud, honnête, tout en restant sexy pour que les gens aient envie d’écouter. Ça ne sert à rien si les gens n’écoutent pas. »

Peut-être alors qu’il serait plus juste de parler pour Albin de la Simone d’un engagement social. « Il y a quand même des thématiques dans mes chansons par lesquelles j’affirme un point de vue sur la société. Je pense être assez féministe dans mon écriture. Si on fait la somme de tout ce que j’ai écrit, je crois défendre beaucoup la position de la femme par rapport à celle de l’homme. » La question du couple, de ses aléas que subissent nos générations heurtées et trop souvent violentes, est un thème récurrent de son œuvre. Il parle d’amour de manière décomplexée. Il sourit. « Je ne sais pas faire autrement, ce n’est pas un choix. » 

Derrière sa grande humilité, on sent émerger tout son engagement poétique, l’artiste qui peint par petites touches sensibles, qui veut ouvrir des fenêtres, sans contraindre à une interprétation univoque. « Ma douceur me permet de frapper fort par endroits. Il y a bien quelqu’un en face qui va vibrer à la même fréquence que moi. Je suis souvent surpris et touché par les retours du public, ses larmes quelquefois. »

La voix et les mélodies sont légères, à l’instar d’un Souchon qu’il admire et qui aborde souvent l’air de rien les sujets les plus difficiles. « Comme chacun, je suis en quête de paix intérieure, de bonheur et d’équilibre, et donc de cohérence. En même temps que je m’engage contre la surconsommation, je me rends compte que je tends vers le minimalisme dans ma démarche artistique. Faire beaucoup avec peu, exprimer des choses complexes avec des mots simples, composer une musique riche avec des sons épurés. Au même moment mes concerts deviennent acoustiques, sans sonorisation, sans artifices. De ce fait, c’est une démarche très engagée, mais engagée au service d’une vision artistique en harmonie avec ma façon de vivre. Mais est-ce cela l’engagement ? »

Humilité donc, mais sans fausse pudeur. Il est heureux de son parcours, de ses collaborations, de sa nouvelle médiatisation. Alors qu’il se demandait si tout ça tiendrait sur « ses épaules, ses épaules, ses épaules pas bien carrées », se dessinent de solides lignes de force qui conjuguent engagement individuel citoyen et engagement artistique. 

G.T. & A.C.

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