Comment êtes-vous arrivé à l’idée du revenu de base ? 

Par deux voies. C’était en 1982. Dix ans après le rapport du Club de Rome, il me semblait important d’offrir au défi du chômage involontaire une autre réponse qu’une croissance illimitée de la production et de la consommation capable de suivre le rythme de la croissance de la productivité. D’autre part, quelques années avant l’écroulement du rêve soviétique, il me paraissait tout aussi important d’offrir une alternative radicale au régime en place qui diffère tant de l’utopie néolibérale – une soumission totale de nos existences au marché – que de l’utopie paléo-socialiste – une soumission totale de nos existences à l’État.

Pourquoi, selon vous, la prospérité ne passe-t-elle plus, au XXIe siècle, par le plein-emploi et la croissance ? 

Pour une grande part de l’humanité, la prospérité bien comprise requiert encore une croissance matérielle substantielle, qu’il importe d’orienter de telle sorte que le niveau et le mode de vie visés soient durablement généralisables. Mais dans les pays riches, il est effectivement devenu aberrant de continuer à recommander la croissance dans le seul but de réaliser l’idéal désuet du plein-emploi rémunéré pour tous les hommes et toutes les femmes tout au long de la vie dite « active ». Qu’il soit question de partage du revenu ou d’éducation, d’urbanisme ou de mobilité, il s’agit d’imaginer et réaliser des réformes profondes susceptibles de permettre aux générations futures de vivre mieux que nous, sans pour autant consommer davantage.

Comment le revenu de base devrait-il s’intégrer aux systèmes d’assistance (RSA) et d’assurances (chômage, retraites) sociales ?

Si l’on parle en termes de proposition immédiate et non d’horizon lointain, le revenu de base doit être conçu comme un socle modeste – disons 500 euros – qui vient se glisser en dessous de l’ensemble de la distribution des revenus, y compris les revenus relevant de l’assistance sociale et de l’assurance sociale, dûment recalibrés. Il ne s’agit pas de remplacer intégralement les deux composantes de nos États-providence, mais de leur permettre de mieux remplir leurs fonctions respectives.

Comment concevoir ce recalibrage ?

Le schéma le plus simple est le suivant. Toutes les allocations inférieures au montant du revenu de base sont supprimées. Toutes les allocations supérieures sont réduites à concurrence de ce montant, le résidu restant soumis aux mêmes conditions qu’aujourd’hui. En parallèle, les exonérations et les taux faibles sur les premières tranches des revenus du travail et du capital sont supprimés. Même le premier euro de tout salaire est donc imposé à un taux relativement élevé. En net, ces ajustements sont plus que compensés par la perception du revenu de base pour les titulaires des allocations les plus basses et des salaires les plus bas, en particulier pour bon nombre de travailleurs à temps partiel.

Le revenu de base présente-il un intérêt pour les pays en voie de développement ? 

Il suscite en tout cas beaucoup d’intérêt dans un certain nombre de pays moins développés. En Inde, par exemple, une expérimentation financée par l’UNICEF dans l’État de Madhya Pradesh a démontré l’énorme différence qu’un tel dispositif peut faire, même à un niveau très faible (3 % du PIB par tête de l’Inde), pour une population très pauvre. Et le gouvernement national semble prendre au sérieux l’idée de passer d’un système de subventions et de transferts en nature à un revenu universel. Mais, dans la plupart des cas, un dispositif ciblant seulement les ménages les plus pauvres – comme la Bolsa Família brésilienne ou Oportunidades au Mexique – constitue sans doute un passage obligé. 

Propos recueillis par PIERRE VINCE

 

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