La référence au mot « prospère » me donne deux idées. D’abord, je pense à Prosper (Yop la boum !), la chanson de Maurice Chevalier. Prosper est un maquereau. Le mot « prospère » a quelque chose d’arrêté. J’adore le progrès, je déteste la prospérité. Être prospère signifie qu’on ne bouge plus et que le ventre gonfle. C’est ça, un prospère. Le prospère relève les compteurs. Je déteste les rentes. Il n’y a de rentes de rien. La vision d’un monde fixe est fausse. Le cœur du sujet, c’est la Sicile, Le Guépard  de Lampedusa : que faut-il changer pour que l’essentiel demeure ? Si on ne change rien, l’essentiel va mourir. C’est une condition absolue. 

Mon autre vision de la prospérité dit ceci : dans la vie, il n’y a pas de frontières. Pas de frontières chez les moustiques et nulle part ailleurs. Mais il existe des identités. Il y a donc une contradiction entre l’identité forte des peuples et le fait qu’ils soient perdus dans le non-lieu, et qu’ils bougent dans tous les sens. Chaque peuple crée son identité sans se réfugier dans l’identité passée. Une leçon nous est donnée par la biologie. Une autre par la géographie. Il n’est pas vrai que l’histoire l’emporte toujours sur la géographie. Tout n’est pas homogène. Les fleuves n’ont pas de frontières mais ont un bassin. C’est ici que je veux en venir, en suivant le fil de la prospérité. Quel est le bassin de vie de l’Europe ? C’est la Méditerranée, c’est l’Afrique. La Méditerranée occidentale, de la Sicile jusqu’à Gibraltar, est notre lac commun dans tous les domaines, avec des chances mais aussi des menaces : l’immigration, le terrorisme, les trafics en tous genres, les dérèglements climatiques, sans oublier la mort de la mer. La Méditerranée est dans un état épouvantable à cause de la pollution, de l’urbanisation, de la raréfaction des espèces. Regardons la rive sud, des enjeux-clés sont posés par la population, le climat et les situations inégales. Trois phénomènes se conjuguent. On passe d’abord du cycle à la tendance. Au lieu de l’alternance du chaud et du froid, le chaud est de plus en plus chaud, le froid est de plus en plus rare. Ensuite, les phénomènes sont plus inégalitaires : les dérèglements climatiques s’accumulent dans certains endroits. Enfin, on assiste à un enchaînement des phénomènes extrêmes, pollutions et sécheresses. 

Quant à nous, sur l’autre rive, nous sommes solidaires car nous sommes là. Lorsque la population aura doublé à notre sud, à une heure d’avion, que se passera-t-il ? Va-t-on dessaler la mer ? Ajoutons que les principaux importateurs de céréales, ce sont nos amis du Sahel et d’Égypte. Le lien existe. Leur destin c’est nous, notre destin c’est eux.

La meilleure des nouvelles serait une vraie union du Maghreb. Elle n’existe toujours pas car chacun trouve des prétextes ou se heurte à des réalités difficiles. La malédiction pour la Tunisie de la proximité avec la Libye. L’inconséquence de l’Algérie et du Maroc de ne pas régler le conflit ancien du Sahara occidental. À qui profite ce crime ? Sûrement pas aux Sahraouis. Nos destins sont communs. Résultat : personne ne peut travailler ensemble. Il n’existe pas de route à quatre voies correcte entre Rabat et Tunis. Cela pourrait être une prospérité. Il faudrait pour cela un abandon de pouvoir de la classe politique algérienne. Il faudrait avoir aussi l’audace de la confiance. Voyez le courage infini des dirigeants européens qui, peu après la Seconde Guerre mondiale, décident de mettre en commun le charbon et l’acier. Imaginons qu’on mette en commun l’activité industrielle de la Tunisie, les matières premières de l’Algérie, les phosphates et le formidable développement trans-sud du Maroc. Notre rêve est là. La prospérité potentielle est commune, or on est en train d’organiser l’affrontement. La nouveauté, c’est que le Maroc devient avec l’Afrique du Sud le principal moteur économique du continent. Un essor Sud-Sud. 

On ne peut évoquer l’idée de prospérité sans évoquer l’Afrique, que j’aime comparer à un volcan. Tout autour, les terres sont fertiles. Dangereuses mais fertiles. Le Kenya, le Mozambique, le Ghana, le Nigeria. Les croissances sont inouïes, tout marche. Au cœur du volcan, il y a l’explosion, le magma du Centrafrique, du Mali qui n’est pas sécurisé. Comment peut-on envisager l’avenir d’un pays, le déploiement de chacun, la prospérité au sens plein, c’est-à-dire le progrès, la confiance dans le lendemain, quand la moitié de la population de Bamako a moins de 14 ans et demi et que le système scolaire est le suivant : 180 élèves en primaire le matin et 180 autres élèves l’après-midi ? On voit l’État se délabrer. Les enfants des plus nantis partent vers les écoles d’Arabie saoudite, du Qatar ou du Canada. La promesse que représente chaque enfant malien ne trouve nulle part la possibilité de se réaliser. Le Tchad va exploser, l’Afrique centrale est un énorme volcan avec une explosion au milieu qui est notre question, notre destin. Ses habitants mettent trois mois à venir jusqu’à nous, mais ils viennent. 

Que faire ? Je ne vois pas de solution globale. Une initiative vers le Maghreb s’impose pour parer le haut risque que constitue l’Algérie, l’immobilisme de son dirigeant. Il faut combattre les déséquilibres qui favorisent les trafics de drogue et le djihadisme, qui n’est qu’un visage nouveau du banditisme. Ce sont tous des délinquants. Avant, on parlait du Milieu, maintenant c’est le Ciel ! Il sera difficile de mettre en place un plan. On doit distinguer entre réfugiés et immigrés. Il faut que les gens se développent. Et exiger un accord ferme : si on contribue à assurer votre sécurité, on ne peut accepter des gouvernements corrompus. 

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