J’ai étudié à Sciences Po dans la belle ville d’Aix-en-Provence. Diplômé, j’ai occupé un poste de consultant dans un cabinet de conseil en financement public. Cantonné à des tâches rébarbatives et sans intérêt, j’ai tenu quatre mois avant de démissionner. J’ai ensuite trouvé du travail dans ce que j’avais toujours fait en parallèle de mes études : l’hôtellerie. Pendant trois ans, j’ai connu quatre établissements différents, des palaces de Paris, Londres et Genève. En 2016, j’ai rencontré l’amour de ma vie : la boulangerie. J’ai sauté le pas et aujourd’hui je passe un CAP en alternance au Campus des métiers de l’entreprise de Bobigny. Vu de loin, mon parcours semble chaotique et il l’est, puisqu’il m’a fallu huit ans pour trouver ma voie. Cependant, il m’a énormément appris et je ne suis pas le seul dans ce cas. Au contraire, je fais partie d’une génération qui recherche, au-delà d’un métier rémunérateur et marqueur de réussite sociale, un épanouissement personnel, un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et surtout l’adéquation avec ses convictions et son éthique. 

Ce parcours illustre aussi le retour en grâce des métiers manuels, notamment des métiers de bouche. Nourrir les hommes, c’est à la fois noble, simple et complexe. Cela induit en outre une responsabilité immense. Une prise de conscience des risques liés à l’alimentation traverse les sociétés modernes, l’essor de l’agriculture biologique en témoigne. Les méthodes de fabrication, de culture, d’élevage sont remises en question et les excès antérieurs sont critiqués. Dans la boulangerie, comme dans l’agriculture, on constate une rupture générationnelle entre de jeunes artisans, plus sceptiques quant à ce qu’on appelle le progrès scientifique, et la génération précédente qui a perçu l’arrivée de nouvelles techniques, notamment en chimie agroalimentaire, comme un facteur d’amélioration des conditions de travail et de la qualité des produits. Pour la nouvelle génération de boulangers, l’enjeu est maintenant de bannir les pains chargés d’améliorants de synthèse, de consacrer le retour d’un pain sain et bon pour la santé, et surtout de faire tout cela en gardant des prix accessibles afin d’éviter que les produits de qualité ne soient réservés aux clients les plus aisés. Voici un premier exemple de ce que sera être un acteur de la prospérité de demain : promouvoir et démocratiser l’accès au bon pain.

Aujourd’hui, je souhaite fonder une boulangerie la plus saine, la plus respectueuse de l’environnement, la plus responsable socialement et la plus rentable possible. Les matières premières seront issues de l’agriculture biologique. 90 % d’entre elles proviendront d’un rayon de 250 kilomètres afin de minimiser le bilan carboné dû au transport. Enfin, le rythme des saisons sera respecté. Le Slow Food est sans doute l’aspect le plus symbolique du projet. En effet, notre société vit à l’heure de l’instantanéité et de l’abaissement de toutes les contraintes physiques et matérielles. Or, le temps et l’attente vont redevenir un marqueur de valeur et un outil du désir – par exemple, attendre l’été pour déguster des fraises goûteuses. La clientèle ciblée devra partager ces considérations écologiques et cette réflexion qualitative. Cependant, la cible n’est pas une élite urbaine éduquée à fort pouvoir d’achat. L’objectif est de toucher un large spectre de consommateurs via le vecteur de la commande publique, notamment dans les collectivités locales. Toutes les administrations devront endosser leur rôle de stimulateur économique en incluant plus de clauses sociales et écologiques dans les contrats publics.

L’objectif « zéro déchet » sera recherché par le biais de deux leviers. Premièrement, les déchets générés par l’activité seront minimisés. En interne, l’utilisation de contenants et d’emballages jetables sera proscrite. Ceux destinés à la clientèle seront en papier recyclé sans encre. Une consigne sera instaurée pour les contenants en verre et les déchets seront recyclés. La partie organique sera compostée, soit en utilisant un composteur classique, soit en investissant dans un composteur brasseur mécanisé qui permet de recycler la quasi-totalité des déchets alimentaires. 

La rentabilité du projet ne se fera pas sans une montée en gamme des produits. Je suis conscient que l’équation meilleure qualité à moindre coût n’existe que dans le monde enchanté de la grande distribution. Pour un artisan, proposer des pains issus de l’agriculture biologique entraîne inéluctablement une hausse des dépenses en matières premières et, en fin de compte, l’augmentation des prix à la vente. Dès lors, comment concilier l’idéal de démocratisation du bon pain avec l’enjeu de rentabilité ? En réduisant et en dissociant les gammes de produits. En d’autres termes dissocier les gammes revient à réduire la marge brute sur le produit d’appel, la baguette traditionnelle bio, afin de vendre à un prix comparable à une baguette lambda et garantir ainsi un accès pour tous à la qualité. En contrepartie, il conviendra d’augmenter les marges sur les produits de consommation occasionnelle (viennoiseries, pâtisseries) qui jouiront d’une image de marque renforcée. La deuxième étape, réduire les gammes, implique une diminution de la largeur et de la profondeur de l’offre. En interne s’opérera une microspécialisation de la production et donc des gains de productivité – faire moins mais mieux.

La prospérité que je souhaite incarner est donc polymorphe, à la fois citoyenne, écologiste et durable.  

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