Les échanges commerciaux jouent un rôle important dans la prospérité d’une société. La question n’est donc pas d’abolir ou non les échanges mais de déterminer quelles doivent en être les règles. 

À la sortie de la guerre, le monde était très protectionniste. Les accords de Bretton Woods et les négociations au sein du GATT ont eu des effets plutôt positifs. À cette époque, le commerce international était un outil pour les États. Mais c’est devenu une fin en soi à partir des années 1980. Il y a eu un renversement : auparavant les pays comptaient simplement sur les échanges extérieurs pour répondre à leurs besoins ; à partir de ce tournant, ils ont dû s’adapter et se plier aux règles du commerce international. Cette mutation est liée à la création de l’OMC en 1994. Cette institution a outrepassé son rôle : elle a empiété sur le fonctionnement interne des sociétés en réglementant les subventions, les brevets et la propriété intellectuelle. Ç’a été le début d’une période pendant laquelle ces accords sont devenus le moyen pour certains groupes d’intérêts comme les multinationales, les institutions financières et des investisseurs de poursuivre leurs objectifs particuliers. Ce qu’ils n’auraient sans doute pas pu faire à l’échelle de leur propre pays. 

De manière paradoxale, les pays qui ont le mieux réussi leur développement dans cette hypermondialisation ont joué selon les anciennes règles du jeu. Ils ont profité du commerce international en s’assurant une emprise suffisante pour diversifier leur économie, gérer les investissements étrangers à long terme, contrôler leur monnaie. La Chine a suivi cette voie, et avant elle la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et le Japon où les exportations ont joué un grand rôle. Mais ces pays ne se sont pas contentés de s’ouvrir au commerce, ils ont développé de véritables stratégies industrielles. 

Dans les autres parties du monde, les effets ont été plus nuancés. Le Mexique, par exemple, s’est totalement fondu dans l’hypermondialisation. Ce pays s’est intégré à la chaîne logistique nord-américaine en joignant l’ALENA, mais ses performances au long des vingt-cinq dernières années ont été très décevantes. Le Nord s’en sort bien mais la productivité du Sud est très faible, même comparée au reste de l’Amérique latine. De son côté, l’Afrique n’a globalement pas réussi à s’industrialiser et à profiter du commerce international. Certains pays ont pu bénéficier de la croissance de la Chine pour y exporter des matières premières mais le caractère cyclique de ces marchés pose des problèmes en termes de développement. 

Le bilan global est donc mitigé. Il faut trouver un juste milieu, avec une organisation du commerce qui permette un monde ouvert et génère des emplois de qualité, tout en laissant les États en voie de développement organiser leur économie. Les pays riches doivent pouvoir sauvegarder leur niveau de protection sociale et de droit du travail sans qu’ils soient sapés par le dumping social. 

De fait, la mondialisation n’est pas sans effets à l’intérieur même des pays. En 1997, j’ai écrit un livre intitulé Has Globalization Gone Too Far ? (« La mondialisation est-elle allée trop loin ? »). Je soulignais déjà le risque que l’intégration économique globale mène à l’intérieur des pays à une rupture entre les groupes ayant les ressources pour en profiter et le reste de la population. C’est ce qui est en train de se produire au Mexique mais aussi en Europe, et davantage encore aux États-Unis où l’État-providence est moins protecteur. Les inégalités internes tendent à augmenter mais cette désintégration ne dépend pas uniquement des revenus. Ces groupes sociaux ont développé des visions du monde divergentes, avec d’un côté ceux qui se pensent comme des citoyens du monde, de l’autre ceux qui se sentent englués dans leur réalité. La France en est un bon exemple.

Ces réactions étaient prévisibles. Nous ne devrions pas être surpris par ce qui s’est passé en 2016. La montée du populisme couve depuis longtemps et s’explique par l’accaparement des bénéfices de l’intégration économique par des intérêts privés. Les partis centraux adhèrent à cette mondialisation et ne semblent pas en mesure de répondre aux enjeux liés à notre constat. Les populismes risquent donc de monter en puissance dans les prochaines années.

Dès lors, que faire ? L’UE et la zone euro pourraient se diriger vers une intégration économique plus profonde qui se prolongerait sur les plans fiscal, social et politique. Le projet politique d’approfondissement de l’Union porté par Macron me semble bon, mais cela prendra du temps et l’issue en reste pour le moins incertaine.

Au niveau mondial, il faudrait comprendre que l’intégration économique a été poussée outre mesure dans le domaine de la finance, qu’elle a trop empiété aussi sur la souveraineté des États en matière de normes de consommation ou de propriété intellectuelle. Les entreprises, les investisseurs et les financiers ont été favorisés au détriment des travailleurs ordinaires. En revanche, nous pourrions aller plus loin sur des sujets qui profiteraient aux travailleurs des pays pauvres : en leur permettant par exemple d’obtenir des visas de trois à cinq ans pour travailler dans des pays avancés. Parallèlement, nous ne protégeons pas assez les employés et l’environnement dans les pays développés où le dumping social a plus ou moins le champ libre. Il faut remettre l’accent sur les intérêts des gens ordinaires. 

Propos recueillis par PIERRE VINCE

 

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