La prospérité n’est pas qu’une question de richesse. Elle renvoie à l’épanouissement par le travail, à la citoyenneté, à une formation qui aide à comprendre la complexité du monde. Elle sous-entend une dynamique positive. Elle est affaire d’éducation, de culture, de confiance. 

Il faut remonter aux pères fondateurs de l’économie pour comprendre la relation entre éducation, culture et prospérité. Adam Smith soutient la mise en place d’écoles accessibles à tous les enfants dans toutes les paroisses, dont il juge le coût modeste en regard de leur rendement social. Il souhaite aussi que l’État encourage les artistes dont les œuvres et les spectacles aident « à dissiper dans la majeure partie du peuple cette humeur sombre et cette disposition à la mélancolie qui sont presque toujours l’aliment de la superstition et de l’enthousiasme ». « Il n’est de richesse que d’hommes », notait Theodore W. Schultz à la fin des années 1950.

Des mesures ambivalentes 

On connaît la relation entre le niveau d’éducation, le capital culturel et les comportements, en matière de prévention des risques de santé notamment. On peut ajouter que la culture fait partie de la qualité de la vie, élément de la prospérité. La mesure de ces relations est néanmoins complexe. 

Selon l’OCDE, la part des dépenses publiques consacrée à l’éducation (12,9 % en moyenne) varie considérablement d’un pays à l’autre : elle est, pour l’année 2015, de 21,6 % du PIB en Nouvelle-Zélande, 10,2 % en France et 8,6 % en Italie. Il faut y ajouter l’effort privé. Mais l’investissement éducatif, les taux de scolarisation ou le nombre moyen d’années d’études ne suffisent pas à rendre compte du niveau d’éducation, qui est tributaire de la qualité des études et de la capacité des systèmes éducatifs à faire progresser les individus les plus défavorisés. La relation entre ces données et le rang des pays en matière de croissance n’est ni linéaire ni aisément vérifiable. Les différents segments du système éducatif (primaire/formation de base, secondaire et supérieur/développement des savoirs, formation professionnelle/amélioration des savoir-faire) n’ont pas les mêmes effets sur l’économie. 

Du côté de la culture, on rencontre les mêmes difficultés d’évaluation. La mesure de l’impact de la culture sur l’économie – certes non négligeable, avec près de 600 000 emplois en France – donne lieu à des espérances, mais aussi à des déceptions. On espère reproduire l’effet Bilbao (le musée Guggenheim comme première étape d’une redynamisation du Pays basque meurtri par la crise économique), mais cet effet, loin d’être mécanique, tient à une conjonction de facteurs et ne se déploie qu’à long terme.

Des effets non désirés ?

Certains économistes remettent en question les effets de l’éducation : l’enseignement révèle les talents plus qu’il ne les forme, et le diplôme n’est qu’un signal, qui délivre une information. L’éducation peut même brider la créativité de l’individu, matière première des économies contemporaines. Elle peut enfin créer des frustrations lorsque les diplômés doivent renoncer à trouver un emploi à la hauteur de la qualification acquise. Un des ferments de la révolution arabe en Tunisie fut la faible création d’emplois qualifiés, alors que le pays comptait un grand nombre de diplômés. 

De même, l’offre culturelle, dans les villes, peut conduire à des phénomènes de gentrification : départ des populations les moins nanties vers les périphéries moins chères… et moins dotées en équipements culturels.

La poule et l’œuf…

Si sa mesure est sujette à débat, si les effets ne sont ni directs ni immédiats, la relation entre croissance, éducation et culture demeure forte. Philippe Aghion et Élie Cohen distinguent les économies qui imitent des technologies produites ailleurs et les économies d’innovation au niveau élevé de formation. Dans les pays pauvres, l’éducation est plus tournée vers le rattrapage que vers l’innovation. Mais, au-delà de la technologie, l’éducation nourrit la capacité à s’adapter au changement, à anticiper, à prendre des initiatives et des décisions fondées, à mieux allouer les ressources. 

Est-ce la croissance qui procède du niveau d’éducation et de culture ou l’inverse ? Un pays qui affecte plus de ressources à son système éducatif ou à son offre culturelle en attend plus de prospérité. Réciproquement, un pays prospère investit dans l’éducation et dans la culture, les individus éduqués étant de gros consommateurs de culture. Quel que soit le sens de la causalité, s’enclenchent des cercles vertueux au terme desquels le savoir accumulé par les générations précédentes accroît les capacités des générations futures à assimiler et à créer de nouveaux savoirs et de nouveaux biens culturels. 

Biens de consommation ou d’investissement ?

L’éducation et la culture ne sont pas seulement des investissements. Elles sont aussi des biens de consommation dont on n’attend pas nécessairement un impact sur la production, mais qui sont parties prenantes du bien-être individuel et collectif. Doter un territoire d’une offre culturelle, proposer aux jeunes parents des écoles de qualité, c’est inciter les individus à rejoindre un territoire. Une population formée et éduquée réclame une offre culturelle. La préférence de la société pour l’éducation détermine ainsi son inclination à consommer de la culture.

La nécessité d’une politique publique

Culture et éducation sont des biens de confiance, en relation avec l’accomplissement de soi, la capacité à assimiler la différence, mais ce sont aussi des biens porteurs d’inégalités cumulatives à l’intérieur des sociétés comme entre les sociétés. L’espace de reconnaissance du diplôme s’est élargi au prix d’une segmentation entre une population qui peut valoriser ses savoirs sur le marché mondial et une population sédentaire. Les pays dont le niveau d’éducation est insuffisant sont pris dans des trappes à pauvreté et peinent à enrayer l’exode des compétences. Une politique publique est indispensable pour corriger ces disparités.

Selon le Prix Nobel d’économie Amartya Sen, l’éducation permet de convertir des ressources en libertés réelles et d’accroître les « capabilités ». D’un point de vue sociologique, Émile Durkheim écrivait en 1922 que l’éducation – et, pourrait-on ajouter, la culture – sont « avant tout le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence ». 

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