Chers lecteurs du 1,

Sachez que, si vous êtes surpris de me lire ici, dans ce numéro sur « Le génie de l’intestin », eh bien, vous ne l’êtes pas autant que moi quand on m’a demandé d’y contribuer.

Pourquoi diable m’associer, moi, humoriste belge, donc même pas champion du monde, à cette publication qui tend à prouver que l’intestin est un deuxième cerveau ? Trouvent-ils que je représente bien l’un de ces organes ? Les deux ? Si oui, lequel ? Ou alors, la rédaction voulait compenser. Tout un numéro consacré à l’intelligence de l’intestin, il fallait peut-être quelqu’un pour prouver qu’on peut aussi, à l’inverse, faire de la merde avec son cerveau ?

Et puis, j’ai réfléchi, de tout mon corps. 

Il y a sans doute une analogie avec mon métier. Les humoristes le savent, il y a deux sortes de rire : le rire de tête et le rire de ventre. Le premier fait appel à la réflexion et titille le cortex, le second est épidermique et secoue les tripes. 

Les textes de Raymond Devos vs les chutes de Mr Bean.

Les Marx Brothers cumulent les deux, mais ils s’y sont pris à cinq : Groucho pouvant placer un aphorisme délicieux pendant qu’Harpo trébuche sur son haut-de-forme.

Prenons les choses dans l’ordre : commençons par une définition bergsonienne. (NDA : je me rends compte que cette dernière phrase fait très France Culture…) 

Le philosophe nous dit : « On expliquera le rire par la surprise. » En gros, quelque chose se passe de manière inattendue et déclenche, physiquement, un rire. 

D’accord. Mais ce qui est surprenant pour un scientifique canadien de 75 ans ne l’est peut-être pas du tout pour une adolescente tibétaine ou pour un agriculteur sénégalais. Leurs références ne sont pas les mêmes. Une blague sur la fainéantise des Corses ou la bêtise des blondes n’aurait sans doute aucun sens en Azerbaïdjan où ce sont peut-être les Tchétchènes qui sont vus comme procrastinateurs et les roux, bêtement stigmatisés pour une prétendue bêtise ?

Dès qu’il faut une référence, on est dans un « rire de tête ». Ce sera encore plus flagrant quand le prérequis est intellectuel. Je vous propose un trait d’esprit trouvé sur Internet… que je n’avais, dans un premier temps, moi-même pas compris : 

« Werner Heisenberg roule excessivement vite sur l’autoroute. Il se fait arrêter par un policier :

– Est-ce que vous avez une idée de la vitesse à laquelle vous rouliez, monsieur ?

Ce à quoi il répond : 

– Non, mais je sais où j’étais. »

A priori dans un colloque de physiciens allemands cette vanne vous assure un éclat de rire général. Dans la plupart des autres endroits, vous aurez droit à un sourire gêné compensant mal l’incompréhension.

Tout le monde n’est pas censé savoir que Heisenberg, Prix Nobel en 1932, est l’un des pères de la mécanique quantique et a prouvé, en gros, que, même sans connaître précisément la vitesse d’un objet, on peut déterminer sa position de départ…

Là, on est au-delà du rire de tête, on est dans le rire de grosse tête ! Pas l’émission de radio, hein…

À l’opposé de cela, on trouve les blagues universelles, celles qui font rire comme un réflexe : une chute inattendue dans une bouche d’égout, la tarte à la crème de l’auguste qui atterrit sur le visage du clown blanc ou, avec plus de poésie, Charlie Chaplin qui pique avec deux fourchettes les petits pains posés sur la table dans La Ruée vers l’or et les fait danser…

Nul besoin de code, de langue ou d’âge, on rit… Comme un plaisir enfantin qui peut être sans limite. Seul ce rire de ventre peut vous mener à l’orgasme zygomatesque, le fameux fou rire ! On se tient les côtes, sans doute pour contenir l’intestin qui se remue et logiquement, comme le veut l’expression consacrée et raffinée, on en finit parfois par « p… de rire » !

Maintenant que vous connaissez le yin et le yang de l’humoriste, il convient pour chacun d’entre nous de doser au mieux les deux. Dans un spectacle de one-man-show, une pièce de théâtre ou un film comique, l’idéal est de retrouver les deux !

Son succès, Rabbi Jacob le doit autant à de Funès se dépatouillant dans la glue verte de l’usine de chewing-gum qu’à la tirade hilarante sur la judéité de son chauffeur.

Pierre Desproges était capable d’assener : « Marguerite Duras n’a pas écrit que des conneries, non, elle en a aussi filmé ! », tout en assumant un sketch où il se battait à coups de boudin avec Daniel Prévost dans une boucherie.

Prenez la pièce Art de Yasmina Reza. Trois hommes dans la cinquantaine dissertent sur l’intérêt d’acheter, très cher, un tableau tout blanc. Ce pitch semble absolument élitiste et pourrait déboucher uniquement sur un rire de tête prétentieux. Eh bien ! la scène dont on se souvient, c’est celle où l’un des trois sort un feutre noir et trace une grande ligne sur la toile. Une drôlerie absolument populaire qui, arrivant tard dans la pièce, soulage le spectateur qui en rit nerveusement, du ventre, en voyant la mine décomposée du propriétaire du tableau.

CQFD.

Voilà.

Eh bien ! malgré tout ce que je viens de vous expliquer, je ne sais toujours pas ce que je fais dans ce numéro. Le génie du 1 sans doute ! 

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