Les personnes distinguées ne parlent pas de leur intestin, surtout à table. Si la conversation porte sur les aliments, elle se limite à ce qui est dans l’assiette. Mastication, déglutition, digestion et, bien sûr, défécation sont bannies. Le dîner bourgeois ne dérape et se détraque que devant la caméra de ce provocateur de Buñuel : dans Le Fantôme de la liberté, par exemple, les convives se soulagent ensemble, mais s’isolent pour manger. 

Daniel Pennac brise le tabou à sa manière. Dans Journal d’un corps, paru en 2012, le narrateur met les pieds dans le plat, abordant avec gourmandise tous les sujets sur lesquels on fait silence : ses rots, ses pets, ses diarrhées, ses problèmes avec la balayette des cabinets… Le livre est néanmoins digeste, et même plaisant, grâce à la finesse de l’observation et la qualité de l’écriture. Ne se limitant pas aux effets de l’alimentation, Pennac s’étend largement sur l’activité des organes génitaux, ces « parties honteuses » qui ont été longtemps tues et soustraites à la vue.

L’animal moderne et « libéré » d’aujourd’hui reste mal à l’aise avec la nudité, malgré l’exaltation de la sexualité et la banalisation de la pornographie. D’autres choses dans le corps continuent à le troubler ou à le dégoûter : le sang, le sperme, la salive, la sueur, la morve… De l’intestin, on préfère oublier la forme, la longueur, les tenants et aboutissants. Suffira-t-il de le présenter comme un « deuxième cerveau » pour nous le rendre aimable ? On dit d’un être très intelligent que « c’est un cerveau ». Dira-t-on demain de quelqu’un qui se nourrit avec intelligence que « c’est un intestin » ? 

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