Depuis quand s’intéresse-t-on de plus près à l’intestin ?

La santé du ventre a toujours été un sujet d’étude pour les scientifiques mais, depuis un peu plus d’un siècle, on s’intéresse plus spécifiquement au microbiote, c’est-à-dire aux bactéries qui tapissent l’intestin. C’est en partie grâce aux découvertes de chercheurs européens du début du XXe siècle, dont l’un a cherché à comprendre pourquoi un groupe de fermiers vivant dans les montagnes était globalement en meilleure santé que le reste de la population. Il a découvert que ceux-ci consommaient du lait qu’ils avaient auparavant transporté à dos de cheval, et qui, du fait de la chaleur, avait fermenté sous l’action de micro-organismes. Il en a conclu que ce « yaourt » contribuait à leur bonne santé. Mais dans les années 1930, avec l’arrivée des antibiotiques et l’apparition de maladies comme la tuberculose, s’est propagée l’idée que les bactéries nous rendent malades. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que l’on commence à réellement s’interroger sur l’impact positif des bactéries sur notre santé. Depuis dix ans, les études sur le sujet ont explosé. 

En quoi consiste le microbiote ?

Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes vivant sur et à l’intérieur de notre corps, et dont la quasi-totalité loge dans notre intestin. Il est composé de 100 000 milliards de bactéries – soit plus que le nombre d’étoiles de la Voie lactée –, mais aussi de virus et de champignons. Il varie d’une personne à l’autre, et c’est ce qui le rend si intéressant. On estime le poids du microbiote entre 200 grammes et 2 kilos en fonction des méthodes de calcul choisies. Les êtres vivants ne sont pas les seuls à posséder un microbiote : les bâtiments aussi ! Dans les immeubles dits « malades », les gens ont tendance à avoir une santé plus fragile. Les bactéries et les champignons présents dans l’air de ces immeubles y sont probablement pour quelque chose. 

Pourquoi le microbiote varie-t-il d’un individu à l’autre ?

Nous créons un climat à travers nos pensées et nos choix de vie quotidiens. L’endroit où nous vivons, ce que nous mangeons, qui nous embrassons, l’air que nous respirons… Tous ces choix ont une incidence plus ou moins forte sur le type de bactéries que nous abritons.

Existe-t-il des types de microbiote ?

Il est très compliqué de catégoriser le gigantesque chaos que représente cet écosystème. À l’époque où j’écrivais mon livre, on distinguait trois types de microbiote. La plupart des scientifiques ne croient plus en cette théorie. Ce que l’on peut dire, c’est que tous les êtres humains ont en commun, dans leur intestin, certains gènes pour digérer, détoxifier ou encore produire des vitamines. De la même manière, nous abritons tous certains microbes. Mais chaque individu abrite potentiellement un certain type de microbe particulier. Et nous ne connaissons pas encore les conséquences d’une telle particularité. 

D’où vient le génie de notre intestin ? 

L’intestin est un organe central, qui fait le lien entre le monde extérieur et l’intérieur du corps humain. Il ressent tout ce qui s’y passe. Il est une sorte de manager capable de communiquer avec l’ensemble du corps, du cerveau au système immunitaire en passant par le métabolisme et les hormones présentes dans le sang. Pour décharger le cerveau de certaines tâches, il prend régulièrement en charge certaines informations, dont nombre d’entre elles n’atteignent jamais notre conscience. D’ailleurs, tout laisse à croire que l’intestin s’est développé avant le cerveau.

Comment ventre et cerveau communiquent-ils entre eux ? 

Ils sont connectés par différentes routes. Le nerf vague en est une. Il va de l’intestin à l’arrière du crâne, en passant par le diaphragme et l’œsophage, et envoie des informations par signaux nerveux. Les hormones, dont une vingtaine sont produites par l’intestin, constituent un autre canal, tout comme les métabolites, dont la forme la plus connue est le glucose. Relâchés dans notre sang, ces derniers influent sur la manière dont nous nous sentons. Voilà pourquoi lorsqu’on a faim, il peut nous arriver d’être en colère.

« Lorsque l’on mange moins de fibres, les bactéries du gros intestin ne reçoivent pas assez de nourriture »

Mais la connexion la plus intéressante à mes yeux est celle qui unit le ventre au système immunitaire. L’intestin est la plus grande surface du corps relié au monde extérieur. Puisqu’il accueille toutes sortes d’éléments extérieurs, il a besoin de cellules immunitaires. Comment fonctionnent-elles ? Cette question est passionnante. Le système immunitaire influence l’humeur. Juste avant de tomber malade, vous vous sentez un peu pleurnichard, pas bien dans vos baskets. Vous ne savez pas pourquoi, car vous n’êtes pas encore malade. En fait, votre système immunitaire envoie tout un tas de signaux d’alarme dans le sang, et vous le ressentez psychologiquement. 

Quelles maladies peut-on espérer traiter grâce aux avancées de la recherche ? 

À mes yeux, l’aspect le plus intéressant de la recherche est qu’elle ne s’attache plus uniquement à comprendre ce qui nous rend malade. Près de la moitié des études sur le microbiote s’intéressent aujourd’hui à ce qui est bon pour nous. C’est une nouvelle manière de travailler. On commence à comprendre que les maladies inflammatoires, par exemple, sont liées à certaines perturbations du microbiote intestinal. On a constaté que certaines bactéries, lorsqu’elles sont absentes, ne nous protègent plus de certaines attaques. La prise d’antibiotiques – qui détruisent donc les bactéries du microbiote – accroît, par exemple, le risque de développer un syndrome de l’intestin irritable. On sait que ces bactéries existent et qu’elles sont bonnes pour nous, mais on ne les a pas encore trouvées.

Comment prendre soin de son microbiote ? 

La santé du microbiote est très largement influencée par l’alimentation. Lorsque l’on mange moins de fibres par exemple, les bactéries du gros intestin ne reçoivent pas assez de nourriture et sont donc incapables de produire les molécules nécessaires pour transmettre de l’énergie à nos cellules intestinales et pour alimenter la muqueuse protectrice de l’intestin. Or, depuis près d’un siècle, les Européens ne consomment plus qu’une quinzaine de grammes de fibres par jour. L’OMS recommande un minimum de 30 grammes. Il ne s’agit pas de changer d’alimentation, mais d’identifier les produits contenant des fibres et d’en manger un peu plus à chaque repas. On en trouve principalement dans les fruits et les légumes. Il existe aussi une astuce qui consiste à laisser refroidir des glucides (pâtes, riz, pommes de terre, etc.) avant de les consommer. L’amidon cristallise, ce qui permet aux nutriments de ne pas partir directement dans le sang. Inutile de manger froid pour autant. Vous pouvez réchauffer votre plat, tant qu’il est passé par cette phase de refroidissement.

En quoi notre régime alimentaire influence-t-il notre microbiote ?

Saviez-vous que les abeilles, qui sont végétariennes, étaient issues des guêpes, elles-mêmes carnivores ? Les premières ont développé un microbiote différent qui leur permet de métaboliser et de digérer le pollen de toutes les plantes, voilà pourquoi elles ont cessé de manger de la viande. L’appétit est doté d’intelligence, il est important de l’écouter. Je mange personnellement assez peu de viande mais, après quelques semaines de privation, mon corps en réclame. Il en a besoin, et je le lui accorde. Certaines personnes, au contraire, se portent très bien sans manger de viande. Rien ne sert de les forcer. Cela étant dit, il est essentiel d’associer cette attention à l’appétit à des connaissances afin d’éviter les pièges de l’industrie agroalimentaire. Vous n’avaleriez jamais un verre de sucre et un verre de graisse, et pourtant vous pouvez facilement manger deux ou trois beignets. Une fois que vous connaissez ces pièges, vous pouvez vous autoriser à tomber dedans une fois de temps en temps sans danger. 

L’alimentation est-elle l’unique manière de soigner son microbiote ?

Les émotions ont également un fort impact. Des expériences ont montré que la séparation brutale d’une souris d’avec sa mère pouvait influencer définitivement sa flore intestinale et la manière dont son nerf vague communique avec son cerveau. De mon côté, j’ai remarqué que les individus stressés, tristes ou effrayés, dégageaient une odeur particulière. Or, l’odeur du corps humain est principalement liée aux bactéries qui le composent. Gérer les émotions que nous éprouvons peut modifier notre climat intérieur, et vice-versa.

Quel est l’impact du microbiote sur notre poids ?

On estime que 15 % à 20 % de notre apport calorique quotidien est défini par notre microbiote. Des études se sont intéressées à des personnes observant un régime alimentaire. Les individus qui parvenaient à perdre du poids étaient ceux dont le microbiote avait également changé.

Depuis la sortie de votre livre, la science a-t-elle avancé sur la question du microbiote ?

On est davantage passé de la théorie à la pratique en collectant un certain nombre de données sur l’être humain. Les études liant l’intestin à des pathologies telles que la dépression, la maladie de Parkinson, la schizophrénie ou encore la sclérose en plaques se sont multipliées. 

Quels sont vos espoirs en tant que scientifique ? 

J’ai beaucoup d’espoir en ce qui concerne les maladies inflammatoires, dont le nombre de personnes atteintes ne cesse d’augmenter. Je suis persuadée que les bactéries ont ici un rôle à jouer. J’espère aussi que la recherche sur l’intestin permettra d’améliorer la condition des personnes souffrant de maladie mentale. Pour ce faire, il est indispensable que les médecins et les microbiologistes travaillent main dans la main. Je me rends compte qu’il est très difficile d’amener des individus aux méthodes et modes de pensée différents à réfléchir ensemble. J’espère de tout cœur que nous y arriverons, pour le plus grand bien de nos tubes digestifs ! 

Propos recueillis par MANON PAULIC

Vous avez aimé ? Partagez-le !