J’espère un jour ne plus avoir besoin de revêtir mes tenues de guerrière et qu’il ne demeurera que la sensualité. « Est-ce que toi / t’as la chance / d’être toi / quand tu danses ? » C’est ainsi que s’ouvre l’album, avec la chanson « Emancipense ». Le corps est un premier outil d’évasion, il libère des choses que la parole ne permet pas forcément de dire. Il peut nous emmener ailleurs, être le vecteur de nouvelles sensations, de nouveaux horizons. Le corps émancipé que je mets en scène est toujours à la fois dans la sensualité et le combat. Dans notre société, la femme n’est pas encore aussi libre qu’on le souhaiterait. Cela nous force souvent à devoir suraffirmer les choses, sinon elles ne sont pas entendues ou prises en compte.
On m’a souvent collé une étiquette de chanteuse pop acidulée, dans un style très joyeux, bien qu’un peu acide par moments. Pour moi, la pop peut complètement glisser dans d’autres styles, et je ne me sens pas du tout à l’aise dans tout ce qui est fermé, figé.
L’Ère du Verseau, qui annonce un changement, est le premier album dans lequel nous assumons pleinement notre part de mélancolie et de noirceur. Le public avait déjà pu la voir faire des embardées sur les précédents disques, mais de manière très discrète. C’est sûrement une question d’âge aussi : à un moment, on se sent prêt.
L’album était terminé avant le confinement, mais cette période si particulière nous a finalement laissé du temps pour réfléchir à la suite et notamment aux différents clips que nous avons tournés. Conscients que la situation allait durer, nous nous sommes dit qu’il fallait que nous réussissions à proposer des choses dans un temps long. Comment s’adapter ? Comment imaginer un live assis ? Alors que nous étions en train de travailler dans ce sens lors d’une résidence à La Rochelle, nous avons appris que nous serions à nouveau confinés. Pas de sortie de résidence en public possible : le château de cartes s’effondrait au fur et à mesure. Le fait de ne pouvoir faire de concerts a d’abord provoqué une grande frustration, c’était assez déstabilisant. En effet, l’énergie qu’on trouve dans le live est tellement porteuse ! L’échange, le partage avec le public, est une vraie nourriture. Je crois cependant que l’humain s’adapte assez bien aux situations et trouve d’autres façons de s’exprimer ou de vivre les choses. Cette période n’a évidemment pas été un moment très agréable, mais j’ai essayé de chercher d’autres manières de m’évader à travers des séances de yoga ou de la méditation, par exemple. Cela m’a permis de sortir de cet état un peu angoissant. De plus, j’ai la chance d’habiter à la campagne, je pouvais donc m’évader physiquement. Cela a confirmé que ce choix que j’ai fait à un moment dans ma vie de rester vivre en Bretagne était le bon.
Nous faisons aujourd’hui l’expérience d’autres enfermements. Dans la chanson « Karaté », j’évoque la menace du virtuel. « Vue d’en face » raconte également cette obsession qu’on a d’observer l’autre, auquel on se compare sans cesse. Plus ça va, moins je passe de temps sur les réseaux sociaux. Je poste assez peu de choses, je suis très pudique. Il m’arrive parfois de sentir un vrai écœurement, une sorte d’overdose à la fin de la journée si j’ai un peu trop traîné sur Instagram ou Facebook. Cela me déprime que certains rapports soient limités à ce système pervers de dépendance dans lequel nous nourrissons le « monstre ». Il est vrai que dans la nouvelle génération qui arrive certains plongent et se noient complètement dans les réseaux sociaux, mais heureusement il y a aussi beaucoup de jeunes qui s’en extraient, recherchent des émotions plus vraies, plus directes. Je suis souvent impressionnée par ce recul qui leur permet de ne pas se laisser happer, malgré leur âge. Cela me donne plutôt de l’espoir pour la suite.
Avec Grand Marnier, nous avons toujours eu envie d’emmener les gens dans un monde, un univers différent, ouvert. Quand on écrit des textes, on aime se dire que les gens vont pouvoir les interpréter à leur façon. Nous ne cherchons pas forcément à être lisibles. J’aime que chacun puisse décider de là où la chanson le mène, même si ce n’est pas ce à quoi j’avais pensé au départ.
Pour moi, l’artiste doit ouvrir le chemin, accompagner quand on ne se sent pas à sa place, qu’on est incertain ou qu’on a peur. Beaucoup de morceaux ont ainsi jalonné ma vie, m’ont apporté des réponses, ont ouvert des horizons.
L’artiste est messager de l’étrange. La musique, et l’art de manière générale, sont là pour nous déstabiliser, nous mettre des petits croche-pieds sur un chemin peut-être un peu trop droit et nous faire entrer dans des choses inconnues qui vont nous surprendre, nous déranger aussi parfois. C’est une porte magique, comme dans Alice au pays des merveilles.