L’évasion me procure un incroyable bien-être, mais ça ne veut pas dire que c’est quelque chose de facile, de serein. Cette quête d’aventure et de liberté fait partie de ma vie depuis plus de vingt ans. J’ai toujours eu besoin de voyager, aussi bien de manière intellectuelle, en me racontant des histoires et en inventant des mondes, que très concrètement, en prenant la mer.

Je crois qu’évasion et compétition sont compatibles, car on s’évade aussi en se dépassant, en allant chercher loin dans nos ressources enfouies. Au cœur des tempêtes ou quand je me dépasse pour essayer de gagner une course, je retrouve ces instincts de survie. Lorsqu’on est en mer en solitaire, qu’on n’a pas dormi pendant plusieurs jours, qu’on doit être à l’affût de chaque mouvement du bateau, de chaque bruit différent, tous nos sens sont décuplés. Pour moi, c’est cela aussi s’évader : sortir du cocon protecteur qu’on s’est créé dans nos sociétés et retrouver des sensations qu’on a un peu annihilées.

Le bateau est un lieu qui protège des éléments, mais il peut aussi être d’une violence inouïe. Il est alors primordial et essentiel de pouvoir s’en échapper. Je chante quand je me sens seul ou que j’ai peur, cela me donne une force inouïe. Je convoque des images mentales de bien-être pur, je repense à ces sensations de glisse, fugaces mais intenses, les moments où je prends des tubes en surf et où je me retrouve englobé dans la vague, intégré à l’océan. J’emmène toujours des tas de podcasts sur l’eau. Certains moments resteront gravés en moi pour toujours. Je me souviens d’avoir écouté l’émission de France Culture À voix nue sur Jean Rochefort en pleine tempête, trempé, congelé. Je m’attendais à ce que mon bateau se casse en deux… J’avais une peur bleue, les vagues étaient terribles. Pour me réconforter, je mettais très fort la voix de Jean Rochefort qui racontait les dîners avec Jean-Pierre Marielle où ils mangeaient des jambon-beurre. Tous les matins, vers six ou sept heures, j’avais l’habitude de me passer les matinales de France Inter ou France Culture pour essayer de me reconnecter un peu au monde des terriens : on replonge quelques instants dans la folie des hommes, tout en essayant d’y échapper et de partir loin.

J’ai eu la chance de vivre le confinement dans un lieu assez incroyable, entouré de plusieurs comédiens et metteurs en scène. Dans cette cabane posée sur une pointe de Bretagne nord où il y a l’eau courante et le gaz – donc le confort – mais pas l’électricité, on se déconnecte de l’extérieur pour retrouver la nature et les éléments. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pris de vacances et cette période m’a offert une très grande respiration. J’ai voulu travailler de manière différente. Dans le monde de la voile comme dans celui du cinéma, on est très sollicité par les sponsors et les mécènes. Quand on ne navigue pas, on passe beaucoup de temps à faire des relations publiques. J’ai tenté de leur expliquer que j’avais besoin de respirer et de prendre ce temps, tout comme eux. Tous ne l’ont pas compris, il y a eu un vrai blocage. Ce monde d’hier résiste encore beaucoup et ne comprend pas que cet événement dingue qui nous est arrivé doit nous permettre de nous retrouver pour mieux avancer ensemble afin de créer des futurs souhaitables.

Avec d’autres personnes du milieu du nautisme, j’ai lancé un mouvement, La Vague, pour pousser notre sport à être moins impactant sur l’environnement, plus éthique, plus responsable. On a fait travailler des centaines de personnes pour réfléchir à comment, très concrètement, rendre notre industrie plus vertueuse. C’était un moment assez fabuleux de réflexion commune, d’intelligence collective, de partage d’idées. Je fais partie de ces jeunes ou moins jeunes qui ont un peu d’éco-anxiété en eux. Pour tenter de l’apaiser, j’essaye de me mettre en mouvement, d’agir le plus possible, du moins le mieux possible. Mais il est essentiel qu’on ne se satisfasse pas de cela. Il faut combattre l’idée qui se répand qu’on va pouvoir complètement nettoyer les océans grâce à des bateaux, ou que la technologie va nous sauver. Certes, l’être humain est d’une créativité incroyable, mais nous n’arriverons à rien tant qu’on n’aura pas compris que la clé est de ralentir. Il n’y a rien d’évident dans notre société à faire l’éloge de la lenteur. On n’y est pas du tout habitué, et je suis le premier à ressentir cette excitation de la vitesse sur l’eau ou sur la terre. Il faut insuffler de nouveaux imaginaires. L’essentiel pour demain ne sera pas d’être le plus rapide, mais bien le plus économe, le plus sobre, le plus contemplatif. Pour ça, c’est à nous, sportifs, artistes, écrivains, professeurs, de pousser les êtres humains à se reconnecter à des choses plus essentielles qu’avoir le nouveau smartphone qui sort le lendemain ou la paire de Nike qui arrive dans six mois. Il s’agit d’être également plus en phase avec ce qui nous rend réellement heureux. 

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