Le live c’est l’éphémère, l’imperfection. Mais c’est aussi l’émotion. Enfant, à 10-12 ans, j’allais beaucoup au cirque, seul. Pourtant, je n’étais pas particulièrement attiré par les numéros. Ce qui me plaisait, c’était de voir ces types préparer la fête, monter le chapiteau à cinq heures du matin. Mettre tout en œuvre pour un spectacle qui n’allait durer que deux heures. J’organise des festivals, et pas des concerts, parce que j’aime cette idée de grand barnum qu’on invente, de ville que l’on monte pour ne vivre qu’un instant.

D’où vient ce besoin ancestral de se rassembler pour écouter de la musique ? Des premiers rythmes du cœur de la mère qu’on entend lorsqu’on est en gestation ? Je peux voir quinze fois le même artiste sur scène et ne pas être blasé ! C’est tout de même très mystérieux. Et puis, il y a aussi ce plaisir jouissif, un peu mégalomane peut-être, d’être l’organisateur du mariage, de permettre la rencontre d’un artiste et du public. Lorsqu’on contemple, du bord de la scène, la réussite de cette union, que l’on rend possible cet instant de jubilation collective, quel bonheur !

Impossible d’abandonner ça. L’année dernière, malgré les restrictions sanitaires, les Francofolies ont eu lieu. Plus modestes, bien sûr, mais on les a faites. Je ne voulais pas de Francofolies numériques. Pour moi, l’émotion n’est pas numérisable. Elle se transmet par le bruit, la sueur, l’instant. Aucun ordinateur, aucun téléphone mobile ne pourra jamais vous faire ressentir que vous êtes en phase, en communion avec un artiste et un public. C’est physique, il y a la vibration des corps qui dansent, l’heure à laquelle on y assiste, la température de l’air, le vent, la chaleur qu’il a fait dans la journée. Lors du dernier concert de Bashung aux Francofolies, on avait le sentiment d’une cathédrale en plein air, tant tout était parfait.

Quand je monte sur scène chaque soir pour saluer les spectateurs – une tradition que je tiens de Jean-Louis Foulquier –, il ne me faut que quelques secondes pour sentir le public de la soirée. Et il est chaque jour différent. C’est un musicien complémentaire du groupe, une entité au singulier qui a sa vie propre. Il suffit de penser à sa joie inouïe quand l’artiste coupe le son et le laisse chanter a cappella. C’est peut-être ce que cherchent les gens aujourd’hui : un endroit pour être acteur, et acteur de beau.

Il y a aussi le plaisir de partager des talents que l’on a découverts. Au Chantier des Francofolies, par exemple. C’est très fort de voir les concerts balbutiants d’artistes dont on ne sait pas quelle sera la carrière, mais sur lesquels on parie. Je pense aux premières fois de Juliette Armanet, de Christine and the Queens, de Bigflo et Oli, d’Hervé… Quelle chance d’avoir pu assister à ces naissances, ces baptêmes du feu, avec un petit public complice et bienveillant, curieux d’aller à la rencontre de chanteuses et de chanteurs en herbe. En tant que producteur, c’est tout cela qui me motive, me passionne. Faire, c’est se mettre en danger, se compliquer la vie, mais c’est une responsabilité vitale de proposer cette évasion. Bien sûr, je ne suis pas inconséquent, mais la question économique n’est pas ma priorité. Ma priorité, c’est de réussir cette fameuse union. Avoir les larmes aux yeux par l’émotion partagée. 

 

Conversation avec GABRIELLE TULOUP

 

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