L’instinct de liberté réside dans le geste de toujours pouvoir partir, aller ailleurs. L’évasion se situe pour moi d’abord dans le mouvement, ensuite dans l’imaginaire. J’ai éprouvé des sensations de voyage quasi aussi mystiques et intenses dans des salles de cinéma ou en lisant des livres que dans des trains ou des avions. J’ai aussi beaucoup écouté de chansons, lu des poèmes en prose ou en vers. Ce qui est fort dans la poésie, c’est l’espace entre les lignes et les mots, un espace qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans ce monde si contraint.
J’ai beaucoup d’espoir pour notre société et je crois ferme dans la possibilité du rêve et de l’imaginaire. Je me méfie pourtant des subterfuges et des iconographies nouvelles de la vie rêvée qui se développent en ce moment et qui sont pour moi de la rêverie de seconde classe. C’est ce que j’évoque dans la chanson « Le beau mois d’août ».
Lors de la période que nous venons de traverser, pour la première fois tout le monde a dû faire face à la solitude, à l’angoisse, comme une sorte de raz-de-marée. Plus moyen de les reléguer dans l’inconscient, c’était devenu des réalités littérales. C’est assez incroyable que tout le monde se soit retrouvé au pied de sa mélancolie, même des gens qui n’auraient pas voulu s’y confronter. Tout à coup, cette crise a présenté au monde un miroir hallucinant de l’âme humaine. On s’est alors rendu compte à quel point les artistes nous manquaient. J’étais morte de ne plus pouvoir aller au théâtre voir des mises en scène. J’ai compris qu’on ne pouvait pas se résigner, disparaître, qu’il fallait continuer à taper sur des casseroles. J’étais prête à prendre un van et à aller tourner dans les parcs. Je me répétais : « On va trouver des solutions. Il faut que les mots résonnent. Ils ne peuvent jamais être enfermés. »
Sûrement que la seule véritable aventure est celle des relations humaines. Je suis convaincue que l’endroit de la rencontre entre deux êtres est un espace de beauté et de liberté absolues. Je n’ai d’ailleurs l’impression de saisir totalement mes chansons que lorsqu’elles sont adressées au public, chantées sur scène. Mon écriture comprend souvent, malgré moi, des énigmes qui appellent une réponse. Quand la rencontre avec le public se produit, dans son unité mais aussi sa multiplicité formidable, j’ai l’impression que les entre-mots apparaissent, comme un sens caché, multiple. C’est un peu miraculeux.
Je viens de remonter sur scène. Les mots ne seront pas assez forts pour parler de l’émotion folle de retrouver des gens qui bougent, qui dansent, qui suent ensemble. Ce besoin qu’on a tous de se coller, de se toucher, me bouleverse à un point que je ne saurais nommer. Les festivals d’été qui arrivent, c’est la vie qui reprend !