Un temps durant – un long temps –, il fut un pays où l’avortement n’était ni un droit donné aux femmes ni une interdiction… Non, pour beaucoup des femmes concernées, il était une injonction.

On parle de la Chine, le cas le plus spectaculaire d’une politique antinataliste menée de manière revendiquée et sévère par le gouvernement communiste qui, pendant trente-six ans – de 1979 à 2015 –, imposa aux couples la « politique de l’enfant unique ». L’objectif était de limiter au maximum les naissances pour enrayer le risque de surpopulation du pays. Les moyens mis en œuvre : une limitation forcée des naissances à un enfant par couple, le recours à tous les moyens contraceptifs à disposition, la pénalisation de la naissance d’un second enfant, avec punitions diverses à l’appui (interdiction de déplacement, amendes, etc.) et, surtout, une injonction forcée à l’avortement si survenait une nouvelle grossesse et, dans des cas extrêmes, une stérilisation des femmes en âge de procréer.

Cette politique suscita des révoltes – surtout dans les campagnes, où les paysans manquèrent rapidement de bras pour travailler leurs terres

Cette politique d’avortement forcé accompagnait les réformes lancées par Deng Xiaoping, le « modernisateur » du communisme chinois, pour qui tous les efforts devaient être consacrés à sortir le pays de son retard de développement, car une partie dominante de la population vivait encore dans une précarité extrême. Ce tournant fut engagé alors même que la fécondité baissait déjà régulièrement en Chine. Elle restait toutefois excédentaire et l’État estimait qu’il fallait réduire plus drastiquement encore la population. Cette politique suscita des révoltes – surtout dans les campagnes, où les paysans manquèrent rapidement de bras pour travailler leurs terres –, mais elle perdura avec rigueur jusqu’à la fin du XXe siècle.

Après une génération, les dirigeants en vinrent à s’inquiéter : le pays vieillissait dangereusement. Certes, le taux de croissance battait tous les records, mais les forces manquaient pour maintenir ce rythme. Et le nombre de bouches à nourrir – les vieux – enflait. En 2002, on offrit à ceux qui souhaitaient ajouter un enfant à leur famille de le faire en payant (cher). En 2013, le PC officialisa l’accès au second enfant. En 2018, le contrôle des naissances fut aboli.

Hier interdites de procréation libre, les femmes sont désormais, de manière non avouée, interdites de ne pas enfanter

Les résultats sont paradoxaux. Ainsi, les femmes ne sont toujours pas maîtresses de leur corps. Hier interdites de procréation libre, elles sont désormais, de manière non avouée, interdites de ne pas enfanter. En septembre 2021, Pékin a souhaité réduire le nombre des avortements « non nécessaires » – non liés à un problème social ou sanitaire grave. En janvier 2022, le planning familial a indiqué qu’il interviendrait contre le droit à l’avortement des femmes non mariées ou adolescentes, dans le but de préserver les « valeurs traditionnelles » de la Chine. Au printemps, à l’Assemblée nationale populaire, des élues ont exigé que le parti « libère totalement la fécondité » des femmes chinoises – en bref : qu’il réduise plus encore l’accès des femmes à l’avortement.

Malgré cela, le nombre des naissances continue de chuter et celui des avortements augmente. C’est que, confrontés aux difficultés sociales, en particulier aux coûts élevés de la santé et du logement, de plus en plus de jeunes Chinois se satisfont aujourd’hui… d’un seul enfant. 

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