Il y a tout juste cinq ans, le 30 juin 2017, Simone Veil nous quittait, laissant derrière elle un héritage et une loi qui ont changé le destin des femmes françaises. Dans les pages de notre journal, Leïla Slimani écrivait quelques jours plus tard un hommage puissant à l’avocate devenue ministre, avant de lancer un cri d’alerte : « Son exemple doit aussi nous obliger et nous interdire de fermer les yeux. “ La barbarie ne meurt jamais”, disait-elle. Elle est toujours tapie là, quelque part, et il faut, malgré la peur, malgré nos lâchetés, croire qu’il n’est pas insensé de se battre. »

Ce combat a justement pris une autre tournure, le 24 juin dernier, quand la Cour suprême américaine, majoritairement conservatrice, a révoqué le droit à l’avortement, chaque État pouvant désormais légiférer sur le sujet. Dans une quinzaine d’entre eux, des lois ont été automatiquement promulguées, menaçant femmes et médecins de plusieurs années de prison. C’est un véritable coup de tonnerre, en même temps qu’un incroyable retour en arrière de près d’un demi-siècle, laissant aux jeunes Américaines moins de droits que n’en avaient leurs grands-mères, sinon celui bien peu enviable d’avorter chez soi, sans aucune sécurité sanitaire, avec des comprimés envoyés par la poste.

Chaque année, plus de 30 000 femmes dans le monde meurent après un avortement clandestin

On peut, bien sûr, voir dans ce revirement de la Cour suprême le triomphe d’un mouvement évangélique profond qui, patiemment, a tissé sa toile depuis plusieurs décennies pour imposer sa vision religieuse – le reportage de Manon Paulic dans le Missouri, auprès de femmes tellement opposées à l’avortement qu’elles en viennent à « adopter » des embryons, est particulièrement éloquent de ce point de vue. Mais cette décision n’est pas seulement dramatique pour les femmes du Midwest. Elle envoie également un signal désastreux à tous les adversaires des droits des femmes sur le globe. Malgré de lents progrès, l’avortement reste aujourd’hui proscrit dans l’immense majorité des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, ainsi que dans une grande partie de l’Amérique latine et de l’Asie du Sud-Est. Que la première des démocraties revienne sur ce droit fondamental – avant d’autres, qui sait ? – marque un coup d’arrêt brutal sur le chemin de l’égalité, en même temps qu’une menace pour la santé. Chaque année, plus de 30 000 femmes dans le monde meurent après un avortement clandestin, quand d’autres en restent blessées ou handicapées à vie. Depuis le 24 juin, elles sont des dizaines de millions de plus à être en potentiel danger. 

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