Dans La Servante écarlate, la romancière canadienne Margaret Atwood s’inspire de la Nouvelle-Angleterre puritaine du XVIIe siècle pour décrire un futur terrifiant. Où la fécondité a chuté, et les fanatiques ont asservi les rares femmes fertiles. Aujourd’hui, elle met en garde : qu’est-ce qui empêche l’Amérique de devenir une dictature théocratique ? 

Un enfant n’est pas toujours   
un espoir. Pour certaines, c’est tout le contraire.   
Cette femme à qui on a coupé les cheveux   
pour qu’elle ne puisse pas se pendre  
s’est jetée du toit, violée  
trente fois et enceinte de l’ennemi  
après ça. À celle-là, on a brisé le pelvis  
à coups de marteau pour que l’enfant  
puisse être extrait. Avant de la jeter,  
inutile, un sac déchiré. Celle-ci   
s’est transpercée toute seule avec des pics à brochette  
saignant à mort sur le gras  
d’une toile cirée, plutôt que d’en porter un autre  
encore un, et au-delà de la limite. Car il y a   
une limite, mais qui sait 
quand elle peut venir ? Les tranchées du dix-neuvième  
siècle sont jonchées de menus cadavres cireux  
balancés là dans la panique. Qu’un avion  
passe trop bas au-dessus de la ferme  
et la mère renard dévore son petit. Cela aussi  
c’est la Nature. Alors réfléchissez   
avant d’adorer les champs labourés, de flatter   
un de ces ventres arrondis  
en passant, de désigner une fille pour jouer  
à la madone magique, en bleu   
et blanc, sur un piédestal,
parfaite, immaculée, et séparée
de celles qui ne le sont pas. C’est-à-dire   
toutes les autres. Ce qui compte, c’est   
la nourriture et le sang disponible. Si la mater-  
-nité est sacrée, il va vous falloir  
donner des gages. Alors   
seulement vous pourrez attendre l’avènement  
sur la terre détruite et tremblante  
de ce miracle que vous   
chantez, le jour   
où chaque enfant est une naissance sacrée.

Margaret Atwood, True Stories, Oxford, Oxford University Press, 1981.
© Margaret Atwood

Traduction inédite de Clarisse Davy

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