De leurs tragédies, on a fait des romans, des films, des enquêtes sociologiques puis, enfin, des enquêtes policières. Elles avaient 16 ou 17 ans, parfois moins, et elles avaient « péché ». Alors, pour que l’opprobre ne retombe pas sur la famille, pour qu’on ne voie pas leur ventre grossir, et comme la loi de Dieu leur interdisait d’avorter, on les plaçait dans des couvents où elles devaient travailler comme des esclaves et où la mère ou le père supérieur se chargeaient de leur rappeler quotidiennement combien elles étaient salies. Et puis, le jour venu, juste après l’accouchement clandestin, on leur retirait leur enfant pour le donner à des « gens biens » qui avaient eu le malheur de ne pas pouvoir procréer, ou qui acceptaient de s’en charger pour quelques deniers chaque mois.

Cela se passait en Irlande et s’insérait depuis longtemps dans les règles et les pratiques imposées par une Église catholique toute-puissante. Alors que le droit à l’avortement subit aujourd’hui un échec cuisant aux États-Unis, auquel les Églises évangéliques, donc protestantes, ont grandement contribué, on oublie quelquefois que l’Église catholique, en d’autres lieux, a pu être aussi féroce envers ses propres supposées pécheresses, en imposant légalement l’interdiction de l’avortement et en promettant l’enfer éternel à celles qui y avaient recours. En 2002, le film du cinéaste irlandais Peter Mullan, The Magdalene Sisters, Lion d’or à Venise, contribua beaucoup à la prise de conscience de ce qui advenait en Irlande encore peu avant, le dernier établissement de ce type ayant fermé en 1996.

Le combat avait commencé en 1967, lorsque la Grande-Bretagne voisine, sept ans avant la loi Veil en France, avait adopté l’Abortion Act

On était alors en pleine bataille pour faire reconnaître et condamner ces pratiques. Le combat avait commencé en 1967, lorsque la Grande-Bretagne voisine, sept ans avant la loi Veil en France, avait adopté l’Abortion Act, une loi facilitant grandement l’accès des femmes à l’avortement. Il suffisait de traverser la mer d’Irlande pour avorter à Londres. Ça restait cher pour beaucoup, mais une porte s’ouvrait. En réaction, en 1983, l’Église obtient l’inscription de l’interdiction de l’avortement dans la Constitution irlandaise. Dès lors, les « affaires » publiques se multiplient. En 1992, la Cour suprême autorise l’avortement dans des cas d’extrême danger pour la vie de la mère. Mais, en 2007, le Health Service Executive, la plus haute autorité sanitaire irlandaise, refuse à une jeune fille qui porte un fœtus souffrant d’anencéphalie (atrophie du cerveau qui rend le futur enfant aveugle, sourd, inconscient et insensible) d’aller se faire avorter à Londres.

« Tant qu’il y a un rythme cardiaque du fœtus, nous ne pouvons rien faire. C’est la loi dans un pays catholique »

En 2012, l’affaire Halappanavar fait basculer le pays. Savita Halappanavar, 31 ans, est dentiste. Elle se présente à l’hôpital enceinte de dix-sept semaines et en train de faire une fausse couche. La médecin refuse d’intervenir. « Tant qu’il y a un rythme cardiaque du fœtus, nous ne pouvons rien faire. C’est la loi dans un pays catholique », lui dit-on. Deux jours après, la jeune femme décède de septicémie. Les manifestations se succèdent. Six ans plus tard, contre l’avis militant de la hiérarchie catholique, 67 % des Irlandais disent « oui » à un référendum invalidant la loi constitutionnelle contre l’avortement. Peu après, le Parlement vote le droit à l’IVG pour toutes les femmes jusqu’à la douzième semaine de grossesse. C’est l’échec le plus spectaculaire dans l’histoire de l’Église irlandaise. Pour autant, l’application de la loi sur l’avortement reste difficile en Irlande, parce que l’Église a maintenu son hostilité active, et aussi par manque de personnel de santé qualifié. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !