J’avais 11 ans et j’ai le souvenir précis de la radio exceptionnellement allumée dans le salon ; de ma mère assise me faisant signe d’écouter. Tout s’était comme figé au garde-à-vous dans l’appartement familial. Sortie du transistor, une voix inconnue nous happait. Une voix d’outre-tombe, une voix de glas qui nous parlait d’un mort illustre qu’elle contribuait, ici et maintenant, à immortaliser.

Nous étions en 1964. Les cendres de Jean Moulin étaient transférées au Panthéon et le général de Gaulle avait missionné le ministre de la Culture, son ami André Malraux, grand vizir de la Ve République, pour évoquer ce compagnon des années noires avec sa voix pleine de drapés. Malraux orateur, Malraux oracle… Il avait depuis longtemps compris que la voix devait se nourrir de pleins et de déliés, qu’elle pouvait ralentir, soupirer, hoqueter, haleter, râler, défaillir même, pour mieux vibrer et dompter l’auditoire. Sans doute Bossuet, lors de ses oraisons funèbres, avait-il ­certains de ces accents-là…

Ce fut une expérience collective car les Français furent durant de longues minutes sous hypnose, glacés par la respiration saccadée de Malraux, aspirés par la somptueuse et terrible évocation du sacrifice de Jean Moulin, prisonnier de Klaus Barbie et torturé jusqu’à la mort. Le timbre de Malraux résonne encore dans l’oreille de ceux qui l’ont entendu ce jour de décembre et ce timbre-là survit comme un hommage. « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège… » 

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