Résister, c’est dire non dans un monde où tout nous invite à dire oui. 

Résistant, le philosophe Diogène de Sinope qui, rencontrant Alexandre le Grand dans sa superbe, dit au maître de l’empire qui lui demandait n’importe quel désir afin de le lui exaucer pour montrer ainsi sa puissance : « Tire-toi, tu me fais de l’ombre… » Le sage prouvait alors de façon cinglante à celui qui croyait tout posséder et tout dominer qu’il ne possédait ni ne dominait rien tant que le philosophe refusait sa logique.

Résistant, Spartacus quand il dit non au destin que Rome lui réserve, à savoir ­mourir dans un combat de gladiateurs, puis qu’il fédère les esclaves et fait trembler le pouvoir romain pendant des années. Spartacus refusait ce que tous les autres acceptaient : il voulait la liberté pour lui et les siens. Il meurt pendu.

Résistant, l’empereur Julien qu’on dit faussement l’Apostat, car il n’apostasie pas une foi chrétienne qu’il n’a jamais eue pour devenir païen : il revendique son paganisme, qui est la religion de son enfance, en pleine époque de christianisme dominant depuis Constantin. Il meurt avec une lance dans le dos.

Résistant, Descartes quand, en plein triomphe de la philosophie scolastique, autrement dit sous l’impérieuse domination de l’idéologie officielle d’État de la chrétienté, il affirme qu’il va douter méthodiquement afin de parvenir par lui-même aux vérités dont il refuse qu’elles lui soient soufflées à l’oreille par le pouvoir. Même s’il épargne la religion de son roi et de sa nourrice pour éviter d’avoir des ennuis avec la monarchie et l’Église, il met Dieu dans un coin en affirmant, avant qu’un autre lui reprenne l’idée beaucoup plus tard, qu’il n’avait pas eu besoin de cette hypothèse. Il meurt en exil ­volontaire.

Résistante, Charlotte Corday qui, républicaine girondine, estime que la révolution n’est pas révolution si elle doit se payer par des fleuves de sang versé partout dans son pays. En fille de Plutarque, elle dit non à Robespierre, Marat et autres pourvoyeurs de guillotine. Elle meurt sur l’échafaud.

Résistant, Albert Camus quand, en pleine époque où les intellectuels parisiens célèbrent en grand nombre la dictature, pourvu qu’elle s’effectue au nom de Marx, dit non à la fascination pour Lénine, l’Union soviétique, les pays de l’Est, Mao, la Chine, Cuba, des régimes qui, pour le bien du peuple, massacrent le peuple… Il meurt épuisé par la haine.

Résistant, le général de Gaulle quand, au moment où le maréchal Pétain fait don de son vieux corps d’ancien combattant de 14-18 à la France, il refuse que le destin de son pays soit de devenir le valet d’une Allemagne national-socialiste et qu’il organise à Londres, sans moyens, avec juste le désir de sauver l’honneur, de quoi écrire avec des êtres d’exception ­l’Histoire de France que chacun sait. Il meurt ­renvoyé dans ses pénates. 

Le résistant fonctionne avec le collaborateur : l’un et l’autre sont avers et revers de la même médaille. Le mot est très connoté par la collaboration avec l’occupant nazi au point qu’on a du mal à l’utiliser hors polémique, mais il nomme celui avec lequel le pouvoir se fait, se constitue, se dit et dure : l’empire d’Alexandre, celui de Rome, le christianisme, les Jacobins de 93, l’Empire soviétique, la France de Vichy. Aujourd’hui, le règne des marchés qui font la loi avec leur cohorte de domestiques haut de gamme. Dire non, c’est toujours une autre façon de dire oui – à la liberté. 

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