Internet a bouleversé le schéma des carrières. Aujourd’hui, la vraie pépinière des humoristes se situe sur YouTube qui a forgé la renommée de Cyprien, de Norman ou de Natoo. Avec YouTube, l’audience par le clic est devenue le baromètre de l’humour. Grâce à elle, le youtuber attire les annonceurs et peut gagner de l’argent, voire vivre des vidéos qu’il diffuse. Leur viralité fixe les hiérarchies et dessine les modèles qu’il convient de suivre. Les chiffres donnent parfois le vertige : posté en novembre 2013, le sketch de Cyprien, « L’école », a été vu depuis lors près de 41 millions de fois. 

Mais le plus important, pour le youtuber, est de durer, en fidélisant son public, en l’incitant à s’abonner à sa chaîne. Pour y parvenir, il doit lui donner des rendez-vous réguliers, l’encourager à partager les vidéos, échanger personnellement avec lui, bref, construire une véritable communauté. Ce lien intime est typique des réseaux sociaux et se bâtit indépendamment des médias classiques. Une chaîne YouTube fonctionne d’autant mieux qu’elle dispose des relais de Twitter et de Facebook. La chaîne de Cyprien rassemble plus de 11,5 millions d’abonnés et l’humoriste peut compter sur 7,9 millions de fidèles sur Twitter, 4,7 millions sur Facebook. Norman n’est pas loin de ces chiffres : plus de 10 millions d’abonnés à sa chaîne, 6,9 millions à son compte Twitter, 4,3 millions sur Facebook. Chaque jour, leurs vidéos sont vues plus d’un million de fois.

Si YouTube n’est plus exclusivement un média de jeunes, l’humour que le site promeut tient du phénomène générationnel. En octobre 2015, un sondage de l’IFOP montrait que, pour les 15-24 ans, et contrairement à leurs aînés, YouTube était le premier lieu de découverte des artistes, bien avant la télévision. Mieux : l’indice du succès d’un humoriste n’était pas sa capacité à remplir une grande salle, moins encore à battre un record d’audience télévisée, mais bien à réunir plus d’un million de vues sur YouTube (42 %). 

Pour les jeunes interrogés, pas d’ambiguïté sur l’attente : une bonne vidéo est celle qui déclenche le « fou rire » (64 %), en parlant d’abord des « situations du quotidien » et de leur « aspect dérisoire ». De fait, c’est là-dessus que s’est fondé le succès des stars de YouTube. L’école, le bac, les beaux gosses, la drague, les beuveries, les amis, les parents, Internet, les geeks et les nouvelles technologies – auxquels papa et maman ne comprennent rien – sont autant de sujets qui définissent un univers de complicité où le jeune internaute s’identifie spontanément à l’humoriste. C’est l’humour de l’entre-soi, d’autant plus efficace que le vidéaste a le sens du rythme, du montage, du détournement, de la formule qui s’imprime dans les têtes. Lui-même pourra orienter sa production grâce aux outils statistiques de lecture que lui fournit YouTube, mais aussi aux réactions et aux demandes de ses abonnés.

Cependant, le temps où on filmait les vidéos dans sa chambre pour faire rire les adolescents est révolu. Le public change, grandit, exige davantage qu’une bonne blague. L’humour reste consensuel ou gentiment transgressif. Cependant, une plus grande diversité prévaut. Depuis leur canapé, Juliette et Maud dédramatisent la vie sexuelle et abordent les sujets les plus tabous : la masturbation, la fellation, le cunnilingus… Très loin de leur imaginaire, des collectifs de comédiens, dans la lignée de Studio Bagel, fabriquent de vrais films avec effets spéciaux. L’humour engagé n’est plus absent, comme en témoignent Nicolas Meyrieux, qui démonte les inégalités scolaires, les écarts de salaires, la concentration des médias, ou le Professeur Feuillage, avec ses chroniques écologiques.

Au bout du compte, YouTube a-t-il rendu obsolètes les espaces d’exposition traditionnels de l’humour ? Certainement pas. Même pour les plus célèbres youtubers, Internet reste une étape. Les télévisions, en quête de rajeunissement, ont su les attirer, et certains, comme Norman, sont même montés sur les planches. Les résultats se révèlent souvent mitigés. Passer d’un public générationnel au grand public est un immense défi, même pour les stars du Web. 

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