L’année 2017 fut-elle une bonne cuvée pour l’humour ?

Ça a été une année faste, une année présidentielle. Mais outre l’élection elle-même, il y a eu tous les à-côtés : Macron partant en navette fluviale vers son destin, l’affaire Fillon… Le premier semestre a été si extraordinaire qu’après la coupure de l’été, la reprise n’a pas été évidente pour l’humour. Nous avions connu le même virage entre Sarkozy et Hollande, on pensait tous s’ennuyer. Et finalement Hollande a très vite été ridicule, avec la pluie ou la cravate de travers. 

Est-ce plus difficile de rire avec Emmanuel Macron, qui verrouille davantage sa communication ?

Non, ça c’est plutôt drôle ! J’ai commencé à glisser vers l’humour après avoir couvert la campagne de Hollande pour la RTBF, en 2012, et suivi le ballet des journalistes politiques parisiens très introduits qui avaient accès à lui. Aujourd’hui, les mêmes râlent de se trouver relégués dans l’ombre, les pauvres chéris ! Je pense pour ma part que si on a moins de off, de petites phrases et autres bêtises, ce n’est pas plus mal pour le journalisme… Non, ce qui est difficile aujourd’hui, c’est d’avoir perdu nos personnages du petit théâtre de la politique – Juppé, Sarkozy, Bayrou, Fabius… La perte de Christine Boutin ou de Jean-Vincent Placé est un drame pour les humoristes ! Car pour arriver à faire rire, il faut avoir des référents. Il faut que, lorsqu’on évoque un nom, des images surgissent. Si je dis Amélie de Montchalin, aujourd’hui rien ne vient. Christophe Castaner, idem. Heureusement, ce dernier écume tous les plateaux, donc le personnage va finir par exister. Du coup, je saute davantage sur les sujets de société – la start-up nation, le cannabis dans les vapoteuses –, en attendant que les nouveaux personnages du théâtre politique prennent de l’épaisseur. Et cette épaisseur se gagne en disant ou en faisant des conneries. Donc il suffit d’un peu de patience, et il n’y aura bientôt plus qu’à se baisser pour ramasser. 

Quelle est la fonction de l’humour politique ?

Cela peut paraître immodeste, mais je pense que l’humour est une grammaire qui permet de s’approcher de la vérité, un outil pour casser la couche de communication qui plane désormais au-dessus des faits. On peut s’affranchir de ces gants que sont l’orthodoxie et le respect des règles journalistiques pour aller directement à la moelle de l’os. Moi qui ai connu les deux versants, qui ai été journaliste et qui désormais utilise l’humour, je me sens beaucoup plus en accord aujourd’hui avec ma vocation, parce que je peux appeler un chat un chat. C’est aussi une catharsis. Le matin, les auditeurs ne sont pas dupes de l’information qu’on leur raconte. Les éditorialistes font leur travail, mais – et c’est presque inquiétant – les auditeurs attachent plus d’importance à notre parodie éditoriale. Souvent, ils s’y reconnaissent davantage. Pourtant, si on commence à nous accorder du crédit, il faut en imputer la faute aux politiques et aux éditorialistes. Leur langue n’utilise pas plus de deux cents mots. À nous de trouver d’autres mots, d’étendre le vocabulaire, pour apporter plus de nuances qu’une simple caricature.

Comment écrivez-vous vos textes ? 

En semaine, mon rythme est effréné : une chronique le matin, une émission l’après-midi. L’actualité est un roulement permanent. Le week-end, quand j’ai le temps de me poser et de prendre de la distance, de m’évader par la fiction, je note quelques idées dans un carnet, avec un sujet et un axe de déclinaison. Quand tu fais une matinale radio, tu dois entrer en résonance avec une forme de vibration qui traverse la société. Les textes procèdent d’une mécanique souvent assez précise, mais parfois les vannes vous paraissent si bonnes que vous vous efforcez de les injecter au chausse-pied.

Quelle est la frontière entre humour et journalisme ?

L’humour que j’essaye de cultiver se base sur le factuel. J’ai gardé en éveil tous mes réflexes de journaliste : lire plusieurs articles, croiser les sources, saisir les enjeux, hiérarchiser mon sujet. La première partie de mon travail est similaire à ce que fait un éditorialiste classique. Ensuite, une fois que cette base est solide, je m’autorise à faire du « journalisme créatif », qui tord les faits dans tous les sens, mais jusqu’à un certain point. Pour l’amour du bon mot, je n’irais pas dénaturer l’information. Et par l’humour, on arrive aussi à glaner des informations que les journalistes n’ont pas. Ce que fait Guillaume Meurice par exemple, c’est ce que j’appelle du comique d’investigation, un micro-trottoir qui ne cherche pas à savoir ce que pensent les gens, mais pourquoi ils le pensent. C’est très drôle, on va y voir les paradoxes de l’opinion, mais cela nourrit aussi le débat.

Peut-on rire de tout ?

Ma vision des choses a changé après les attentats contre Charlie Hebdo. Jusque-là, j’aurais pu penser qu’il fallait parfois se réfréner. Mais cet attentat m’a fait comprendre que c’était une forme de résignation que de ne pas faire d’humour. Dans notre malheur, le fait que Charlie ait été le premier attentat d’envergure commis à Paris nous a montré que l’humour devait reprendre ses droits immédiatement, qu’il ne fallait pas renoncer ou éviter l’affrontement. Comment montrer que nous sommes plus forts que ces drames ? En trouvant des mots pour décrire notre sentiment, d’autres mots que ceux qu’on entend dans la litanie des condamnations politiques. Je ne pense pas qu’on fera rire au lendemain de tels événements. Mais c’est tout de même là que nous jouons notre rôle de catharsis. Ma seule limite, et c’est peut-être le fond de journaliste en moi qui parle, ce serait les vannes gratuites sur un événement passé il y a quelque temps. Faire une blague sur le 11 Septembre, ou sur Mohammed Merah, aujourd’hui, je n’en vois pas l’intérêt.

Le politiquement correct a-t-il progressé depuis l’époque des Coluche ou Desproges ?

Je réfléchis souvent à cette question, mais je n’ai pas encore trouvé la réponse. Si être politiquement correct, c’est ne pas se moquer des chômeurs, des malades, des plus faibles de notre société, alors oui, on l’est tous. Pour le reste, je ne crois pas que nous soyons plus timorés qu’ils ne l’étaient. Mais il y a une donnée qui a changé, c’est l’élargissement de l’audience. Par le passé, seuls les lecteurs de Charlie Hebdo avaient accès à ses unes. Aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux, tout le monde peut les voir, les commenter, les attaquer. Or Charlie est fait pour ses lecteurs, qui ont les codes du journal. Idem pour les chroniques humoristiques à la radio : il y a vingt ans, les auditeurs les entendaient une seule fois, puis elles étaient oubliées. Aujourd’hui, elles tournent toute la journée, y compris auprès d’un public qui les écoute au premier degré. Quand Desproges dit : « Des Juifs se sont glissés dans la salle », il s’adressait à son public. S’il sortait la même phrase aujourd’hui, dans une émission de télévision, cela serait probablement moins bien accepté. C’est une difficulté supplémentaire qu’il faut savoir affronter.

Il ne faut pas céder à l’autocensure ?

Non ! Si on essaye de ne pas céder de terrain sur l’humour après les attentats, ce n’est pas pour se coucher ensuite parce qu’un fan de Johnny a mal pris votre chronique…

La place prise par les humoristes n’induit-elle pas une forme de dictature du rire ?

J’utiliserais le mot de « dictature » avec parcimonie, car le fait qu’on puisse le faire prouve justement que nous ne sommes pas en dictature. Après, je crois que cela procède d’une mécanique suiviste des médias : ça marche, donc on en met partout. Mais j’y vois surtout un effet positif : face à la communication politique et à la langue de bois, l’exercice journalistique trouve ses limites. Vous pouvez essayer, comme les Anglo-Saxons, de répéter la même question, vous récolterez toujours les mêmes éléments de langage. Car vous avez maintenant face à vous des bêtes de compétition, surentraînées au formatage. Donc je trouve intéressant que quelqu’un puisse arriver derrière avec son nez rouge en disant : « Michel, on va se parler les yeux dans les yeux », comme je le faisais à la fin de L’Émission politique durant la campagne. Nous pouvons nous permettre des choses que le journaliste politique ne peut pas.

Les humoristes font-ils figure d’opposition – une opposition sans parti ?

Ce n’est pas ce qu’on prétend être, mais je comprends que c’est l’office qu’on semble remplir. Parce qu’on n’épargne personne, quand bien même on serait étiqueté de gauche comme moi. On fait peut-être office d’opposition verbale, quand la presse, contre-pouvoir classique, est désormais à 90 % aux mains de grands groupes privés, avec les soupçons que cela induit. 

L’humour est-il vraiment immunisé contre ce genre de censure ?

Non, on l’a vu avec Bolloré et Les Guignols de l’info, qu’il a fini par étouffer. Nous avons la chance, à France Inter, de pouvoir encore nous payer la tête des annonceurs ou taper sur tout le monde. Ça ne veut pas dire qu’on ne reçoit pas de coups de fil de politiques mécontents. Mais nous avons une direction – et une audience ! – qui nous protègent. C’est plus difficile si vous êtes face à Lagardère ou Bolloré, et que vous déplaisez au prince.

Va-t-on rire en 2018 ?

Je pense, mais c’est à double tranchant. Là où il y a de la marrade, il y a de l’inquiétude. L’humoriste que je suis est heureuse que Laurent Wauquiez devienne le leader de la droite, la citoyenne est flippée. Mais je mise beaucoup sur lui, sur Nadine Morano ou Éric Ciotti. Sans oublier Macron et ses blagues, la gauche qui doit vendre Solférino, Europe Écologie où Yannick Jadot est tout seul, le départ programmé de Nicolas Hulot… On a énormément d’espoir. Il y aura toujours un bon paquet de cons pour nous amuser. 

Propos recueillis par JULIEN BISSON & MAHIR GUVEN

 

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