Il était une fois des Bédouins d’Arabie qui vivaient heureux sous des tentes, se déplaçaient à dos de chameau et prenaient le temps de rêver au paradis qui, leur avait-on dit, n’était pas loin des sables. Ils vivaient aux alentours des lieux saints de l’islam dont ils devinrent les gardiens. Ils avaient fait du désert leur territoire, leur mémoire et leur culture. Au XVIIIe siècle, un théologien du nom de Mohammed ben Abdelwahhab proposa au doyen de la famille Al-Saoud de pratiquer un islam selon la charia pure et dure. Cela donna le rite wahhabite qui est toujours en usage non seulement dans le royaume saoudien mais aussi au Qatar. Et puis un jour, un liquide noir et puissant jaillit du sous-sol. Taches noires sur la limpidité du désert. Jour funeste car cette noirceur était celle d’une énergie, le pétrole. Depuis, les tentes ont disparu et les dromadaires sont morts de tristesse. L’argent arrivait de partout et le désert s’est éclipsé comme s’il n’était plus qu’un décor ou un lointain souvenir. La suite, on la connaît. Tant d’argent ne faisait pas forcément le bonheur. Tout retour vers les origines était devenu illusoire. L’engrenage s’est amplifié et la vie de ces familles s’est compliquée. Les enfants devinrent obèses et les émirs de plus en plus nombreux ne savaient comment dépenser tant d’argent. Ils eurent de quoi construire des palais et faire la guerre. Les traditions bédouines furent maintenues, surtout en ce qui concerne le statut de la femme. On coupe les mains des voleurs, on lapide les femmes accusées d’adultère et le vendredi, sur la place publique, on tranche la tête de l’apostat ou autre condamné.

On est loin, très loin de l’image que donnait l’historien et premier sociologue Ibn Khaldun (1332-1406) des gens du désert qui, écrivait-il, « sont plus sains de corps et d’esprit que les gens des collines qui vivent d’abondance. Ils ont le corps plus net et mieux fait ». 

Le désert n’avait pas bougé. Lieu désolé, lieu de dévastation, il entourait l’indécence d’une vie extravagante où il n’y avait plus de limites. Ce fut tout de même dans cet espace d’ascèse et de silence que les Arabes affermirent leurs traits de caractère, leur tempérament. Et personne ne leur a disputé ce privilège, pas même le fameux Lawrence d’Arabie. 

Espace de fascination, le désert n’est pas le néant. Il n’est ni vide ni abandonné. Il est vivant. Seuls quelques citadins pris dans le stress des capitales pensent trouver la paix dans un lieu dépouillé de tout. Peut-être que c’est là que tout se complique et aggrave les tensions. 

Le désert n’est pas un espace anodin. Il est chargé d’histoire et de légendes. Le jour le rend accessible, la nuit le sublime et le peuple de mythes. C’est un miroir, immense et vide, une scène où des ombres interviennent pour déjouer des complots plus ou moins imaginaires. 

Ézéchiel, aux environs du VIe siècle avant J.-C., écrivait dans sa « Prophétie contre l’Égypte » : « Je fais d’Égypte un désert dévasté / Que nul pied d’homme ou de bête n’y passe / Je fais d’Égypte un désert des déserts, / De ses cités, les débris des débris… »

Cette colère fait du désert un lieu hostile, un ennemi de l’homme, un espace de la stérilité et du rien. Cette vision n’a pas été dépassée et le désert a toujours cette place ambiguë, ambivalente et étrange. Certains prévoient le pire. Les guerres qui se profilent à l’horizon entre sunnites et chiites risquent d’accomplir le vœu du prophète Ézéchiel.

Les Arabes n’ont pas la même vision du désert que l’ensemble du monde occidental. Ils ne fixent pas leurs fantasmes sur les sables. Ils n’en font pas un lieu de villégiature, ni de repos et de méditation. Depuis la découverte du pétrole, ils le considèrent comme un trésor, ce qui paradoxalement n’a cessé d’aggraver les problèmes du monde arabo-musulman. Certains pensaient qu’avec cet argent les pays du Golfe allaient aider les Palestiniens à récupérer leurs territoires occupés. Erreur. L’Arabie saoudite a préféré dépenser pas mal d’argent dans une guerre inutile au Yémen. Le Qatar a fait son marché en Europe, achetant les plus beaux lieux, des palaces, des maisons historiques, des équipes de football, des joueurs, etc., tout en continuant à traiter les ouvriers immigrés comme des esclaves des temps anciens.

Le désert, appelé Sahara, qui trace une large frontière entre le Maghreb et l’Afrique noire, est plus humain, plus accessible, probablement parce qu’il n’a pas été souillé par ce qu’on appelle « l’or noir ». On s’y déplace comme dans un conte des Mille et une nuits. Voilà que des Africains venus d’un peu plus bas marchent à pied dans ce Sahara avec l’espoir de traverser un jour le détroit de Gibraltar et de trouver du travail en Europe. Le désert n’est plus qu’un passage, une route vers l’exil, vers la mort. Ils lui tournent le dos, l’oublient et ont les yeux rivés sur l’horizon lointain où s’érigent des mirages et des fantômes. De ce désert-là, ils ne gardent rien. 

Théodore Monod, celui qui connaissait le désert sur la pointe des pieds, écrit dans ses carnets : « Le désert est une chose qui est belle, qui ne ment pas, qui est propre […]. Alors si on va au désert, il faut le respecter. Il vous apprend une grande simplification de la vie. » 

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