Dans ce café parisien, l’arrivée d’Abdou Borgi n’est pas passée inaperçue. 

– Comment nous reconnaîtrons-nous ? lui avais-je demandé. 

– Facile, je porte l’habit touareg, m’avait-il répondu. Effectivement. Vaste turban indigo qui lui drape le bas du visage, imposant boubou outremer à soutache blanche, il dissipe la grisaille ambiante. S’il n’avait pas son MacBook sous le bras, qui croirait avoir affaire à un entrepreneur français d’aujourd’hui ? Ce qu’il est pourtant. 

« Depuis trente ans, je conduis des groupes dans le désert. D’accord, je ne sais faire que ça, mais je peux le faire dans n’importe quel désert. Je suis né et j’ai grandi nomade. » 

Abdou Borgi parle en phrases nettes et imagées. « Les oasis, c’est le contraire des îles. Il y a du sable partout, et à un endroit, de l’eau fossile fait naître la végétation. Mon oasis s’appelle Djanet, qui veut dire paradis. Elle est l’une des plus importantes du Sahara. »

Plusieurs millénaires avant sa construction par les Touareg au Moyen Âge, dans le coin sud-est de l’Algérie actuelle, des hommes vivaient là. Les gravures rupestres en bas relief sont le clou du circuit « Les mille visages du Sahara » qu’organise Abdou Borgi : « Assis sur un plateau de grès, le berger observait son troupeau de vaches et de taureaux, et il gravait ce qu’il voyait. Il y avait des pâturages et donc de l’eau. » 

Quand Abdou le Touareg, comme il se présente lui-même, a commencé dans le métier, c’était l’âge d’or du tourisme au Sahara, entre 1987 et 1994. « Ma clientèle est composée d’Occidentaux à 90 %. Des Français, surtout : on se comprend, on a une histoire en commun. Les autres sont allemands, italiens, espagnols, suisses, autrichiens ». 

Français, Abdou Borgi l’est par son mariage avec Florence, une kinésithérapeute qui exerce à Paris. Il est aussi à l’aise dans le xie arrondissement où ses enfants sont allés à l’école que dans les dunes du Sud algérien. À Djanet, il est le correspondant du consulat de France, l’un de ces « chefs d’ilôt » qui veillent sur les ressortissants français : « Une centaine de Français vivent là, qui sont des Touareg descendants d’anciens militaires. » La sécurité est un sujet de préoccupation majeur. Durant les terribles années 1990, la guerre civile avait asséché le tourisme. Qu’à cela ne tienne, Abdou s’est associé avec le tour-opérateur Nomade Aventure pour développer un nouveau marché en Mauritanie. « Là-bas, ils ne connaissaient pas le tourisme. Moi, partout où il y a du sable, je suis chez moi. J’ai formé beaucoup de guides mauritaniens. » Dès l’an 2000, il est de retour en Algérie. « ça a bien marché jusqu’en 2011. Mais la guerre en Libye a semé le chaos dans toute l’Afrique : la Tunisie, l’Algérie, le Niger… »

Les autorités algériennes n’ont pas interdit le tourisme, qui fait vivre 80 % de la population dans une ville comme Djanet. Mais elles exercent une surveillance très étroite. Chaque expédition touristique est composée au minimum de deux 4×4 qui portent sur leur toit de l’eau, du carburant et du bois pour le feu. Elle dispose obligatoirement d’un téléphone satellite. Seul un guide agréé peut organiser une expédition : « Nous sommes en liaison avec l’armée et la police, chaque soir nous faisons un rapport sur notre position. Tous les 4×4 qui circulent dans la zone frontalière de la Libye sont identifiés. Quand les drones repèrent un 4×4 inconnu, c’est qu’il est suspect. »

Abdou Borgi n’a jamais eu de problème de sécurité avec ses groupes. « Une fois, vers la frontière avec le Niger, des Allemands qui étaient partis sans guide et sans avertir personne, ont été enlevés. Bon, si moi je traversais des champs de betterave en Allemagne avec mes chameaux, j’aurais aussi des ennuis, non ? » 

Le jovial patron d’Essendilène Voyages n’a pas l’air du genre à se plaindre. Les affaires reprennent un peu. Le bouche-à-oreille lui apporte de tout petits groupes de Français amoureux du désert, deux ou trois personnes, voire une seule, comme ce monsieur qui a passé vingt-cinq jours avec un guide et quatre chameaux, parce que sa femme n’avait pas pu partir au dernier moment. 

Il y a aussi des groupes de copains. « Dernièrement, une amie me demande d’organiser un voyage pour un groupe de retraités de sa région, en me prévenant qu’ils risquaient d’avoir des pépins de santé. Nous avons tout préparé pour une intervention médicale d’urgence en cas de besoin, mais personne n’a eu de problème et ils sont rentrés ravis. »

La nouveauté, depuis trois ou quatre ans, c’est l’arrivée de groupes algériens. Longtemps, les gens du littoral se sont désintéressés du désert. C’est en train de changer, ce qui est une excellente nouvelle pour Djanet, où la plupart des habitants vivent peu ou prou du tourisme. L’important, pour lui, est de préserver le caractère spécifique de ces voyages de découverte : « Le désert est un milieu fragile. Il est important que les visiteurs soient préparés, qu’ils respectent les lieux. Nous voulons un tourisme averti, pas un tourisme de masse. »

À part l’école coranique, le guide n’a connu que « l’école de la vie ». Mais il parle et écrit le touareg, l’arabe et le français « avec plein de fautes, comme beaucoup de Français ! » Il est fier de la civilisation nomade dont il est issu, où les femmes jouent un rôle essentiel dans la transmission des traditions et de l’écriture. « La plus grande fête du calendrier touareg est la Sebiba, en souvenir de la victoire de Moïse sur Pharaon », explique Abdou Borgi.

Cette année la Sebiba tombe le 12 octobre. C’est le début de la saison touristique à Djanet : l’automne et l’hiver sont les meilleures périodes, avant les vents de sable de mars-avril, et la fournaise de l’été. 

 

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