2015-2016 est un grand millésime de la physique. Les années précédentes furent de bons crus, avec la découverte du boson de Higgs en 2012 et la publication des résultats du satellite Planck en 2013, mais cette année a été marquée par l’entrée de l’astrophysique dans une nouvelle ère : le 11 février 2016, la collaboration LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) annonçait la détection des ondes gravitationnelles, ouvrant ainsi une nouvelle fenêtre sur l’Univers.

Cela demande une petite explication. Depuis 1915, la théorie de la relativité d’Einstein a établi que la gravitation n’est pas une force mais une conséquence des déformations de notre espace-temps imposées par la matière. Plus un corps est massif, plus il le courbe. Cette courbure modifie les mouvements de tous les autres corps. C’est ce que l’on appelle la gravitation. Cependant, l’espace-temps est très rigide. Notre Soleil ne le déforme que de quelque dix millièmes de pourcent à sa surface. Les déformations de l’espace-temps peuvent aussi se propager. Il s’agit d’ondes de géométrie, aussi nommées ondes gravitationnelles. Étant donné la rigidité de l’espace-temps, seuls des astres très massifs et des phénomènes astrophysiques violents peuvent émettre des ondes gravitationnelles, faibles à grande distance, mais détectables. 

L’onde gravitationnelle GW150914 détectée le 14 septembre 2015 par le LIGO a été émise au cours de la fusion de deux trous noirs de 29 et 36 masses solaires en un seul trou noir de 62 masses solaires. Comme moi, vous pourrez facilement vérifier que 29 + 36 n’est pas égal à 62. C’est que, dans ce processus, une masse équivalant à 3 Soleils a été transformée en onde gravitationnelle rayonnée dans tout l’espace, ce qui correspond à plusieurs fois la puissance lumineuse rayonnée par toutes les étoiles de l’Univers observable. Voilà ce qu’il a fallu pour créer une onde gravitationnelle qui, après un milliard trois cents millions d’années-lumière de voyage, a déformé notre espace-temps d’environ un cent-millionième de la taille d’un atome !

Il faut comprendre que ces ondes sont d’une nature nouvelle. Elles ne correspondent à aucun de nos sens humains, telle la lumière qui est associée à la vue, ou le son, associé à l’ouïe. Jusqu’à ce fameux jour de février 2016, nous étions « aveugles » à ces ondes. Elles étaient prédites par la théorie, mais il a fallu un demi-siècle de recherche de théoriciens et d’expérimentateurs pour les détecter. L’événement est historique à plusieurs titres. Il s’agit de la première détection directe d’une onde gravitationnelle. Elle donne aussi la première preuve de l’existence des trous noirs et du fait qu’ils peuvent fusionner. Le LIGO offre ainsi la confirmation magistrale de deux prédictions de la théorie d’Einstein.

Cette découverte ouvre l’ère de l’astronomie gravitationnelle, qui permettra de sonder de nouveaux aspects de l’Univers : l’étude des trous noirs, des phases ultimes de l’évolution stellaire et de l’explosion des supernovae, des étoiles à neutrons, mais aussi de nombreux phénomènes invisibles avec nos télescopes ordinaires qui utilisent la lumière. Voilà un beau programme pour la jeune génération. Nul doute que les surprises et les découvertes seront nombreuses.

La science, en nous permettant de dépasser les illusions et limitations de nos sens, bouscule notre sens commun. On ne peut plus concevoir le monde de la même façon après avoir regardé dans un microscope. Aujourd’hui, nos télescopes offrent des images de l’Univers dans des couleurs inaccessibles à notre œil – l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X ou les ondes radio... Ils permettent de collecter les galaxies par centaines de millions et d’affiner peu à peu notre compréhension de la formation des structures de l’Univers. Combien de temps après le Big Bang s’est formée la première galaxie ? Fin 2015, le télescope VISTA a enfin permis de répondre en partie à cette question en détectant des galaxies massives formées environ un milliard d’années après le Big Bang. 

On pourrait penser que les objets les plus difficiles à détecter sont les plus lointains, comme ces galaxies aux confins de l’Univers. Ce n’est pas le cas. Tout est une question de lumière. Les étoiles et les galaxies brillent mais les autres corps ne font que réfléchir cette lumière. Beaucoup d’objets proches nous échappent encore.

Le 22 mars 2016, une comète du doux nom de P/2016 BA14, « frôla » la Terre à moins de 10 fois la distance Terre-Lune. Elle avait été détectée très peu de temps avant, le 22 janvier, et ce n’est que la veille que l’on comprit qu’il s’agissait d’une comète, la troisième à passer aussi près de nous dans l’histoire humaine. Scientifiquement, c’est une aubaine pour l’étude de ces corps glacés et sombres. On estime que son diamètre dépasse 600 mètres et qu’elle ne reflète que 2 à 3 % de la lumière qu’elle reçoit ; un astre plus sombre que l’asphalte ! Pour les amateurs de science-frisson, sachez que les astronomes qualifient de « potentiellement dangereux » tout objet s’approchant de nous à moins de 20 fois la distance Terre-Lune et ayant un diamètre supérieur à 150 mètres. La nuit toutes les comètes sont noires.

Quand on ne peut pas voir avec ses yeux, la puissance des mathématiques peut révéler l’existence d’objets encore invisibles. Les planètes tournent autour du Soleil sous l’effet de la gravitation, mais les autres planètes perturbent légèrement ce ballet. Afin d’expliquer une anomalie dans la trajectoire d’Uranus, Urbain Le Verrier prédit, fin août 1846, après deux ans de calculs, l’existence et la position d’une planète encore inconnue. Dès septembre 1846, elle fut détectée par Johann Galle : vous la connaissez aujourd’hui sous le nom de Neptune. 

Une bonne théorie permet de révéler l’existence d’objets encore inobservables. Le 20 janvier 2016, Konstantin Batygin et Michael Brown annoncent que, selon leurs calculs, il existerait une planète encore inobservée dans le système solaire. Leur conclusion repose sur une modélisation mathématique de la dynamique de petits corps célestes dans la ceinture de Kuiper (zone en forme d’anneau au-delà de l’orbite de Neptune et constituée de petits corps). Comparée à la Terre, cette « planète X » serait 10 fois plus massive et 700 fois plus éloignée du Soleil. Reste à la détecter et à prouver que cette hypothèse est correcte. La traque a déjà commencé mais la planète est peu lumineuse (car loin du Soleil et froide) et elle semblera presque immobile sur la voûte céleste. Les calculs menés par nos collègues des observatoires de Paris et de Nice ont déjà permis de cerner la région du ciel où la planète X pourrait se trouver. Patience : notre système solaire s’enrichira peut-être d’une neuvième planète.

L’ex-neuvième planète du système solaire, Pluton, nous révèle peu à peu ses secrets depuis son survol par la sonde New Horizons, le 14 juillet 2015. L’analyse des photos de sa surface a révélé l’existence de volcans de glace – les cryovolcans – et peut-être d’icebergs de glace d’eau posés sur une mer de glace d’azote.

Notre connaissance du système solaire s’est aussi enrichie grâce aux comparaisons que permet l’étude des exoplanètes, ces planètes orbitant autour d’une autre étoile que le Soleil. En 1995, Michel Mayor et Didier Queloz avaient identifié la première exoplanète, autour de l’étoile 51 Pegasi. Au moment où j’écris ces lignes, on en recense plus de 2 100. Ce nombre augmente de jour en jour. Ces systèmes remettent en cause à peu près tout ce que nous pensions savoir sur les systèmes planétaires. Cette année, on a observé une planète orbitant autour de son étoile à une distance de 7 000 fois la distance Terre-Soleil : record du plus grand système planétaire battu.

Ces avancées soulignent que le temps de la recherche se mesure en décennies et nécessite des financements publics stables. Entre les percées théoriques et le développement d’instruments qui permettent de les valider, une longue gestation est nécessaire. Des limites technologiques doivent être dépassées, et toute la société en bénéficie ensuite. Ainsi, de nouveaux projets sont en route. Lancée le 3 décembre 2015, la mission LISA Pathfinder ouvre la voie des détecteurs d’ondes gravitationnelles dans l’espace. Le 22 avril 2016, c’était le tour du satellite français Microscope chargé de tester le principe d’équivalence qui est au cœur de la relativité générale. Ce principe, selon lequel tous les corps tombent de la même façon dans le vide (rappelez-vous la tour de Pise et Galilée !), est vérifié à la précision de 0,000 000 000 01 %. Microscope fera 100 fois mieux, toujours pour confirmer la théorie d’Einstein… ou y trouver une faille. 

Notre compréhension de l’Univers progresse avec ce que nous sommes capables d’observer et surtout avec ce que nous sommes capables de concevoir. La cosmologie et l’astrophysique cherchent à comprendre l’Univers et les objets qu’il contient. Pendant longtemps, décrire l’Univers revenait à décrire notre système solaire. Il y a un siècle, on ne savait pas qu’il existait d’autres galaxies. Aujourd’hui, nous estimons que notre Univers observable en contient plusieurs centaines de milliards. L’Univers est bien plus grand, peut-être infini. Certains spéculent qu’il existerait même d’autres univers. Les questions abordées par la cosmologie ont radicalement évolué en un siècle. 

La science construit des modèles simplifiés des phénomènes de la nature. Ces modèles sont, par construction, limités et ne peuvent pas répondre à toutes les questions. Notre Univers est unique et nous ne l’observons, étant donné les échelles cosmiques, que depuis un seul point de l’espace-temps : ici et maintenant. La cosmologie a ainsi une dimension historique et tente de reconstruire l’histoire et les propriétés de l’Univers les plus probables, en accord avec la physique et les observations. Aujourd’hui, il est établi que l’Univers est en expansion, qu’il est vieux de 13,8 milliards d’années. Nos observations nous permettent de remonter à 0,1 seconde après le Big Bang. Au-delà, le modèle devient plus spéculatif. Bien sûr, les chercheurs se doivent d’extrapoler, d’explorer les conséquences des théories existantes et leurs implications cosmologiques. La limite entre science et métaphysique peut alors devenir floue. Il est de la responsabilité de la communauté scientifique de veiller à ce que des avancées établies et validées ne soient pas confondues avec des discours philosophiques, métaphysiques, mythologiques ou religieux. Il arrive, en science comme ailleurs, que la mauvaise monnaie chasse la bonne. 

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