Qu’est-ce qui vous passionne dans l’astrophysique à laquelle vous avez voué votre vie ?

Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le côté historique. Qui nous sommes et comment nous en sommes arrivés là. Les organismes vivants, les humains comme les bactéries, sont constitués d’atomes de carbone et d’oxygène générés lors de la combustion des étoiles. Les événements de l’Univers et la préhistoire de la vie s’enchaînent tout naturellement. L’astronomie et la biologie se rejoignent. Physicien, je suis aussi, à ma façon, historien.

Un souvenir précis de ce qui vous a conduit à la science ?

Quand j’étais enfant, au Québec, un ami de la famille était un religieux trappiste mais aussi un homme de science, spécialiste de botanique et de génétique. Chaque année, nous rendions visite au père Louis-Marie à Oka : il avait un herbier formidable et connaissait tout sur les microbes et les bactéries qu’il me permettait d’observer au microscope. J’adorais ce rendez-vous annuel dans son laboratoire et je me souviens m’être dit : « Quand je serai grand, je veux faire ça, c’est une bonne vie. » Les laboratoires me semblaient des lieux très accueillants offrant la promesse d’apprendre toujours de nouvelles choses. J’ai hésité entre la biologie et la physique. Dans ma famille, nous étions passionnés par la nature mais j’aimais par-dessus tout les mathématiques et, en physique, il y avait davantage de belles mathématiques.

Après mes études à Montréal, j’ai été accepté en doctorat à Cornell, dans l’État de New York, l’une des meilleures universités américaines. J’ai eu une chance inouïe car j’y ai eu pour enseignants pendant cinq ans des anciens du projet Manhattan qui avaient participé à l’élaboration de la bombe atomique. C’étaient des professeurs fabuleux, comme Hans Bethe, qui a démontré que l’énergie solaire est une énergie nucléaire, ou Ed Salpeter, dont les travaux sur la fusion nucléaire hydrogène-hélium ont fait date. Avec eux, ma passion des étoiles rejoignait celle de la physique.

Vous avez pourtant choisi de retourner au Québec...

Après mon doctorat, j’avais le choix entre de nombreux labos, c’était une belle époque pour les jeunes chercheurs. Mais je me demandais : « Veux-je vivre en anglais ? » J’ai choisi de retourner enseigner à l’université de Montréal. Il y avait une énergie au Québec dans les années soixante, on construisait l’avenir ! J’avais le pouvoir de choisir mes cours : j’ai enseigné l’électrodynamique, la physique quantique, la thermodynamique… Pour apprendre, il n’y a rien de tel. Dans le même temps, j’ai travaillé à la NASA, de 1960 à 1964, en pleine conquête de la Lune, et enseigné à Columbia. Les Américains devaient former des spécialistes et pas seulement des astrophysiciens voués à l’observation. Je rêvais d’aller en Europe et j’ai reçu une invitation pour un projet en Belgique sur l’origine de trois éléments chimiques : le lithium, le béryllium et le bore. On savait qu’ils venaient du cosmos, mais pour comprendre d’où, il fallait faire des expériences, observer. Les résultats se trouveraient dans les labos de physique nucléaire à travers le monde, mais ça prendrait au moins dix ans. Je suis allé voir les labos des États-Unis et du Canada où triomphait déjà le fameux « publish or perish » : dix ans, c’était bien trop long pour eux. Je suis allé en Union soviétique, mais c’était le règne du mensonge. Finalement des professeurs français d’Orsay m’ont dit : nous avons déjà cinq ans d’expérience. Et je les ai rejoints. C’est ainsi que je suis entré au CNRS. J’ai aimé être à Paris, cet endroit universel – même si j’ai parfois regretté qu’un certain esprit de compétition prévale dans les rapports entre scientifiques, en contraste avec le travail collectif d’outre-Atlantique.

Comment êtes-vous devenu le personnage public que nous connaissons ?

Avec mes quatre enfants, j’allais en village de vacances et l’habitude était que chacun parle de son travail. Je faisais des conférences improvisées sur l’astronomie en projetant des diapositives sur le mur de la cuisine, et les gens étaient passionnés. Ils m’ont incité à écrire un livre, que j’ai proposé à trente éditeurs : tous m’ont répondu que l’astronomie n’intéressait personne. J’allais le remiser dans un tiroir quand Jean-Marc Lévy-Leblond m’a demandé un livre pour sa collection au Seuil. Cela collait et c’est ainsi que j’ai publié Patience dans l’azur. Il a eu beaucoup de succès grâce à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot ; ensuite, ça a fait boule de neige. Je recevais de nombreux courriers qui me prenaient du temps, mais certains contenaient des questions intéressantes. Sur le réchauffement climatique, la pollution... J’y ai puisé les sujets de mes livres suivants et j’ai fini par écrire autant sur l’environnement que sur la vulgarisation astronomique.

Qu’est-ce qui vous a surpris au cours de votre carrière d’astrophysicien ?

La découverte du rayonnement fossile, l’image des débuts de l’Univers. Je ne m’y attendais pas du tout. Depuis Aristote, on vivait dans l’idée que l’Univers était fixe, statique, sans changement. Là, il s’avérait qu’il avait un commencement et qu’il se passait des choses : en somme, il avait une histoire. Comme les fossiles étudiés par les préhistoriens, les éléments chimiques nous racontent des choses sur les tout premiers temps. Il y avait la théorie du Big Bang, puis Hubble a démontré la récession des galaxies – le fait qu’elles s’éloignent : c’est donc qu’auparavant elles étaient plus près. À partir de 1965, avec le rayonnement fossile, on a une machine à remonter le temps. Plus on regarde loin, plus on regarde tôt. Au début, l’Univers est instructuré : il n’y a rien, pas d’étoiles, pas de planètes ; puis la matière se structure dans cet Univers chaotique et nos vies sont un chapitre dans cette histoire.

Quelles sont les questions qui restent à se poser ?

Aujourd’hui, la plus passionnante est : « Sommes-nous seuls ? » Nous n’avons aucune preuve de vie ailleurs, aucun message radio. Il y a des possibilités intéressantes dans les satellites de Saturne et de Jupiter. Mon opinion, qui n’est pas prouvée, c’est que la vie est la forme la plus avancée de la structuration de la matière. La question est de savoir quand les conditions sont réunies pour que la vie apparaisse spontanément.

Quels sont les projets ou les équipes qui vous enthousiasment particulièrement ?

Tous ces groupes qui font des recherches au sujet des exoterres, ces exoplanètes qui ressemblent à la Terre. Il y a aussi le groupe de Jean-Pierre Bibring à Orsay qui travaille sur la sonde Rosetta, une merveille et un succès extraordinaire. Un autre moment extraordinaire, c’est quand le robot Philae a débarqué sur la comète Tchouri. Avec le développement de la physique nucléaire, les résultats se multiplient. La confirmation des ondes gravitationnelles, c’est fantastique. Les télescopes de trente mètres vont révolutionner l’observation.

Et quel est pour vous le sommet de vos recherches ?

C’est ma contribution à l’étude de la nucléosynthèse primordiale, l’une des premières mesures de la densité de l’Univers. L’Univers avait une minute et sa température était d’un million de degrés. Il y a eu des réactions nucléaires qui ont donné l’hydrogène et l’hélium. Ce dernier, en entrant en combustion lorsque les étoiles ont épuisé leur hydrogène, s’est transformé en carbone et en oxygène.

La science n’est pas un domaine de vérité, mais de plausibilité. Il se pourrait qu’une expérience jette tout ça par terre. Par exemple, si l’on trouvait une étoile à 200 milliards d’années-lumière, ce serait un bouleversement : elle serait plus vieille que l’Univers qui, selon la cosmologie, n’en a que 14. Il faudrait à nouveau se gratter la tête !

On ne connaît que 5 % de la nature de la matière. Il y aura forcément encore des surprises. En 1870, il était commun d’entendre dire que la physique était terminée, qu’on savait tout… 

 

Propos recueillis par SOPHIE GHERARDI

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