J’ai fait un rêve : celui d’une France autogérée. Pas celui d’une France administrée, aux mains de ses seuls fonctionnaires et agents publics. Le rêve d’une France où le chef de l’État déciderait, pour de bon, d’appuyer sur le bouton pause. Pendant un temps donné, les régions continueraient de gérer les secteurs dont elles ont la charge. L’économie serait confiée au gouverneur de la Banque de France. La confection du budget serait l’œuvre de la Cour des comptes. Le gouvernement ne serait pas composé d’experts, mais de personnalités politiques chargées de retisser les liens qui manquent tant dans ce pays devenu archipel. Une dizaine de ministres tout au plus, chacun chargé d’une priorité unique (immigration, production industrielle, services publics…), dont la mission collective serait de soumettre, d’ici à six mois, un programme de redressement national à l’Assemblée. Avec pour objectif de mettre en place les mesures adoptées avant l’été 2026, pour laisser ensuite la compétition présidentielle accaparer la fin 2026 et le début 2027.

Faisons juste l’inventaire de ce qui marche

Cette France autogérée ne serait pas un déni de démocratie. Au contraire. Le président et son Premier ministre s’avanceraient à découvert, pour proposer au Parlement et aux Français un calendrier et dix mesures. Rien d’autre. Tout le reste, à savoir la gestion quotidienne de l’État, serait du ressort des préfets, au niveau des départements. Je m’arrête là pour ne pas écrire n’importe quoi. Mais avouez que, vu de l’étranger, et compte tenu de la réputation d’excellence de l’administration française, aussi centralisée qu’efficace, ce programme n’est pas si délirant. Pourquoi consacrer autant d’énergie à remanier la Ve République, en la rendant plus parlementaire, alors qu’elle ne pourra jamais s’affranchir de sa logique implacable : celle d’un président qui, même en retrait, demeure le seul chef d’orchestre que le pays est prêt à accepter ? C’est donc à Emmanuel Macron que reviendrait ce choix. Celui de dissocier les rôles pour une période donnée. Aux politiques, fins connaisseurs du pays, la responsabilité de préparer l’avenir et de dégager l’indispensable consensus. À l’État – contrôlé par le Parlement – le soin de fonctionner au jour le jour, sur la base du budget voté par la représentation nationale.

J’avoue que j’adorerais ce moment de responsabilité nationale. Parce que je suis convaincu que les Français l’attendent et le demandent. Emmanuel Macron a sans cesse répété, depuis sa première élection en mai 2017, que ses concitoyens doivent se montrer responsables. Alors chiche ! Partons du principe que le pays a suffisamment de lois, d’agences, de services publics pour fonctionner – hors urgences – sans repasser sans cesse par la case de l’hospitalisation politique. Plus qu’un principe d’ailleurs : une réalité. Tous les correspondants de médias étrangers basés en France le disent ouvertement au retour du moindre reportage dans le pays réel, c’est-à-dire hors de Paris : la France fonctionne. La France n’est pas en si mauvais état. Les Français disposent d’infrastructures dont ils ne mesurent pas la qualité moyenne, parce que le discours public prétend toujours que cela pourrait mieux se passer si… Faisons juste l’inventaire de ce qui marche. Et confions à quelques personnalités choisies le soin d’un diagnostic indépendant de ce qui ne marche plus. Osons surtout parler d’argent, dans ce pays qui rechigne tant à évoquer ce sujet incontournable autrement que sous forme de déficit accru. Un simple coup d’œil sur le site bien fourni de la Cour des comptes donne déjà un aperçu des déraillements auxquels il est urgent de remédier, et de l’absence de marge de manœuvre sonnante et trébuchante.

J’ai rêvé, en pleine session d’ouverture de la nouvelle législature de l’Assemblée, jeudi dernier, d’une France en pilote automatique. Pas du tout pour mettre de côté le Parlement ! Encore moins pour oublier le suffrage universel et ses contradictions. Le pilotage automatique d’un avion fonctionne au gré des paramètres introduits dans le cockpit par des pilotes en chair et en os. Emmanuel Macron deviendrait, un temps, commandant de bord plutôt que pilote d’essai. Il recruterait un Premier ministre taillé pour être copilote. Une route serait tracée. Un itinéraire serait validé. L’atterrissage de l’avion France serait programmé. Si cet avion-là décollait, résolu à éviter les nuages pour ne pas risquer le crash, les passagers prêts à embarquer seraient bien plus nombreux qu’on ne le pense.

Tout cela n’a aucun sens, je le concède bien volontiers. La France n’est pas un Airbus que l’on promène d’un tarmac d’aéroport à l’autre. Soit. Alors ? Peut-être devrait-on commencer, pour que cesse cette désagréable impression d’un éternel recommencement frustrant et générateur de colères sociales et populaires, par s’imposer une sobriété généralisée. Sobriété législative. Sobriété médiatique. Sobriété des nominations. Sobriété administrative. Pas drôle, je l’admets. Trop suisse. Trop loin des passions révolutionnaires tricolores et du foisonnement intellectuel permanent hérité de l’« esprit des Lumières ».

Fin du rêve. Place à l’atterrissage forcé.

Allô, la tour de contrôle ? Il y a quelqu’un devant l’écran radar ? 

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