Ce n’est pas un pays qui brille par son goût du consensus et de la modération. Mais, même si c’est souvent douloureux et fastidieux, l’Espagne parvient toujours à se trouver un gouvernement.

Au sud des Pyrénées, les élections se font à travers le scrutin à la proportionnelle – « un système adapté à une société hétérogène comme l’Espagne, avec de fortes identités régionales », explique Gabriel Colomé, professeur de sciences politiques et sénateur socialiste à Madrid. Trois ans après la fin de la dictature, en 1978, les rédacteurs de la Constitution élaborent un système qui évite les majorités absolues. « Il y avait quatre grands partis : les socialistes, les communistes, les centristes et la droite, poursuit Gabriel Colomé. Mais, rapidement, les communistes et les centristes disparaissent. On s’est donc retrouvé face à un bipartisme, avec des majorités absolues, dans un système pensé au départ pour les coalitions. » La culture du pacte a disparu lorsque le socialiste Felipe González a remporté les élections à la majorité absolue en 1982. « C’est toute une génération de dirigeants qui n’a pas fait l’apprentissage du consensus. Ils ont dû s’y mettre récemment. »

À vrai dire, s’il n’y a pas eu de gouvernement de coalition avant 2019 (entre les socialistes et Podemos, la gauche radicale), les deux grands partis n’ont pas toujours obtenu la majorité absolue, et ce sont souvent les nationalistes basques et catalans qui ont joué la monnaie d’appoint. « On est dans un pays presque fédéral, rappelle Marc Cases, consultant politique. Au lendemain des élections, on assiste à des marchandages. Les Basques et les Catalans demandent des contreparties. » Ainsi, en 1996, pour obtenir le soutien des nationalistes, la droite espagnole a autorisé la Catalogne à avoir son propre corps de police, les Mossos d’Esquadra. « C’était une concession impensable avant les élections pour une droite très hostile à toute autonomie catalane », poursuit Marc Cases.

les politiques comme les médias ont dû apprendre la culture du compromis

Plus récemment, c’est une autre concession, l’amnistie pour les indépendantistes, qui a permis au socialiste Pedro Sánchez de rester au pouvoir en 2023. « Ça n’était pas dans le programme de la gauche, admet Gabriel Colomé. Mais un pacte de gouvernement ou d’investiture diffère forcément du programme électoral. » Le sénateur résume à sa manière le système espagnol : « Le résultat des élections, c’est comme la 1re mi-temps d’un match de football. La 2e mi-temps se joue ensuite avec les négociations et la formation du gouvernement, quand un candidat au poste de chef de gouvernement doit obtenir par un vote la confiance des députés. »

Par la force des choses, les politiques comme les médias ont dû apprendre la culture du compromis. Mais ils sont aidés par un calendrier précis. « Le protocole facilite les choses en instaurant une date limite : on sait qu’au bout d’environ quatre mois, s’il n’y a pas d’accord, il y a de nouvelles élections », rappelle Marc Cases. Les gouvernements se retrouvent donc en fonction pendant quelques mois, sans que ce soit vécu comme un drame ou que cela empêche le pays de fonctionner.

« Pour trouver des majorités, il faut accepter que cela prenne du temps. Et les médias doivent le comprendre. » Pour le consultant, qui vit entre l’Espagne et la France, la patience et la discrétion sont indispensables. « Il faut de la tranquillité et un environnement sain, éloigné du bruit médiatique. En France, la gauche fait tout ce qu’il ne faut pas faire, en sortant tous les jours le nom d’un possible Premier ministre et en parlant beaucoup trop. » Gabriel Colomé confirme : « Les discussions ne doivent pas être menées par les leaders des partis, mais par des négociateurs inconnus du grand public. Et rien ne doit fuiter dans la presse. » Pour les citoyens et les médias, cette période est frustrante mais elle est nécessaire. Selon Gabriel Colomé, il n’est pas inutile de dépayser les négociations. « Si elles se tiennent dans un lieu secret, hors de France, c’est encore mieux. » Ce proche de Pedro Sánchez conclut en souriant : « Je suggère aux négociateurs de se retrouver au sud des Pyrénées, sur la Costa Brava, à Cadaqués, le petit village de Dalí, puisque la situation chez vous est devenue surréaliste ! » 

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