Les affaires étrangères sont-elles réellement le domaine réservé du président ?

Cela se vérifie dans la pratique. Au fil de la Ve République, le président s’est de plus en plus impliqué dans la défense et dans les relations internationales, et a progressivement marginalisé le ministère des Affaires étrangères. Même s’il n’est pas le premier à avoir donné cette impulsion, Emmanuel Macron a poussé très loin la présidentialisation de ce domaine. Ses ministres des Affaires étrangères sont visiblement là pour appliquer sa politique et non l’influencer. Toutes les nominations, même les plus minimes, doivent passer par lui. Il affiche également publiquement sa grande défiance à l’égard du corps diplomatique, qu’il a qualifié d’« État profond », et qu’il a d’ailleurs complètement détruit.

Toutefois, bien que les présidents aient eu traditionnellement la main sur les sujets de défense et de relations internationales, rien de tout cela n’est inscrit explicitement dans la Constitution. Celle-ci dit, par exemple, que la conduite de la politique de défense revient au gouvernement. La seule prérogative claire du président concerne la dissuasion nucléaire : là-dessus, il a les pleins pouvoirs. Pour le reste, en particulier pour la défense et les affaires européennes, cela relève des responsabilités conjuguées du président et du gouvernement. Si c’est le plus souvent le président qui donne l’impulsion, plusieurs ministres des Affaires étrangères, comme Dominique de Villepin sous Chirac, ou encore Jean-Yves Le Drian sous François Hollande, ont pu avoir une véritable influence sur la position de la France dans le monde. Comme la Constitution est assez vague sur la répartition des responsabilités, cela peut prêter à confusion en cas de mésentente entre un président et son Premier ministre.

Quel poids le Parlement peut-il avoir dans la gestion des affaires étrangères ?

Il joue un rôle central en ce qu’il vote les budgets. On ne fait pas de politique étrangère ou de défense sans argent ! Lorsque le président promet 4 milliards à l’Ukraine, lorsqu’il annonce une nouvelle augmentation des budgets de la défense ou définit le montant de l’aide publique au développement, c’est in fine l’Assemblée qui tranche. Elle a un véritable pouvoir de blocage et de négociation sur ces sujets. Et ce sera tout l’enjeu de la rentrée.

Le blocage actuel risque-t-il de dégrader l’image de la France ou son poids à l’étranger ?

L’image et la voix de la France à l’étranger sont déjà dégradées depuis maintenant plusieurs années. Pourquoi ? D’une part parce que le président – qui, je le répète, considère les affaires étrangères comme son pré carré – s’est montré particulièrement fluctuant dans ses positions. Vis-à-vis de la Russie de Poutine, d’abord, à qui il voulait initialement ménager une porte de sortie honorable, et qui est maintenant devenu le principal ennemi de la France. À propos de l’Ukraine, ensuite – très réticent face à l’envoi d’armes, il parle désormais d’envoyer des troupes au sol. Et plus récemment sur Israël-Palestine, lorsqu’il a abordé la question d’une intervention internationale alors que cela n’avait été soulevé par personne. Il y a donc quelque chose d’assez changeant dans ses positions, qui fait que la voix de la France pâtit aujourd’hui d’une certaine méfiance.

Il y a par ailleurs la question du bilan de nos actions à l’étranger. Depuis quelques années, la France ne brille pas par ses succès. En Afrique, elle a essuyé un revers magistral au Sahel, au Mali et au Niger. Au Maghreb, elle a réussi à se fâcher avec le Maroc et l’Algérie en même temps. Et au Liban, elle n’est pas parvenue à bien saisir les enjeux de la zone. Au vu de nos résultats, nos partenaires ne sont pas vraiment en attente d’initiatives françaises qui pourraient débloquer telle ou telle question internationale. Je ne pense donc pas que la situation de blocage que l’on connaît aujourd’hui – même si elle ne fait rien pour améliorer notre réputation – changera quelque chose au statu quo européen qui prévaudra jusqu’à la mise en place de la nouvelle équipe à Bruxelles.

 

Le président Macron a toujours mis en avant son engagement en faveur de l’UE. Quel impact la situation politique en France peut-elle avoir sur la coopération européenne ?

Il y a là beaucoup d’attentes, en effet, car c’est la France qui, historiquement, a porté tous les grands projets européens, sans exception. La perspective d’un blocage dans ce pays inquiète donc naturellement nos partenaires.

La répartition des sujets en lien avec l’UE est toutefois très complexe : c’est un dialogue entre la Commission européenne, le président et le gouvernement – le président détenant environ 80 % du pouvoir. Aujourd’hui, il est probable que ce dernier se concentre sur le dossier dont il est le plus proche, à savoir celui de la défense européenne, qui est assez consensuel parmi les partenaires et qui risque de devenir encore plus pressant en cas de réélection de Trump et si les Européens estiment nécessaire de prendre du champ vis-à-vis de l’Otan. Si le président décide de faire de cette question son cheval de bataille, alors la France pourrait impulser quelque chose qui marquerait à nouveau la politique européenne. Seulement, là encore, il y a toujours cette incertitude quant au vote des budgets à l’Assemblée. La question qui se posera à la rentrée et qui nous occupera dans les mois à venir, au fond, c’est de savoir si cette France partagée, divisée, potentiellement paralysée, aura une vraie ambition européenne. 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

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