Et puis, il y a les infirmières. Elles ont un rôle plus médical que les aides-soignants. Pour résumer, si l’aide-soignant apporte le petit-déjeuner, l’infirmière, elle, fait les prises de sang.

Moi, je n’aime pas beaucoup la grosse Michèle, l’infirmière de nuit, cinquante piges, l’air super-sévère. Elle n’est pas du tout là pour plaisanter. Et, du coup, personne ne plaisante avec elle. Il y a aussi les infirmières de jour, Élisabeth, Carole, Nadine, Josy… Tout d’abord, soyons clairs, ce n’est pas pour les offenser, d’autant que certaines sont très jolies, mais quand tu passes plusieurs mois en milieu hospitalier, le mythe de l’infirmière, tu en reviens très vite.

Au revoir le fantasme de la grande et belle infirmière qui entre en souriant dans ta chambre, le corps cintré dans une petite blouse blanche sexy… Bonjour la petite Josy qui arrive en faisant la gueule dans son espèce de bas de kimono jaunâtre et qui te dit : « Bon, allez, c’est l’heure d’aller à la selle ! »
Je peux vous assurer que, très rapidement, tu te fous complètement de ce qu’il y a, ou pas, sous la tenue de l’infirmière. Dans un centre de rééducation comme celui-ci, le rapport avec les infirmières devient vite intime. Et pour cause…

Quand on pense aux paraplégiques et aux tétraplégiques, on pense surtout à l’absence de mouvement des bras et des jambes, rarement au fait qu’il faut aussi des muscles pour uriner ou déféquer. Je suis désolé de revenir une nouvelle fois sur ce sujet, mais c’est une triste réalité. Chez les personnes qui vivent avec ce handicap, ce sujet tient une place considérable autant dans le planning que dans leur esprit.

Six fois par jour, on se retrouve donc en tête à tête avec une infirmière qui, à l’aide de compresses et de gants stériles, enfonce dans notre pénis une sonde de trente centimètres. La sonde, dans son voyage intérieur, atteint la vessie, et l’urine est aussitôt vidée dans une poche plastique.

Alain, un tétra très cultivé d’une soixantaine d’années, surnomme nos infirmières « les femmes aux mille verges ». Il est vrai que, dans une carrière de plusieurs années à notre étage, une infirmière en aura vu des vertes et des pas dures…

Les paraplégiques, qui ont l’usage de leurs bras et de leurs mains, peuvent se sonder seuls après une petite formation. Mais les tétras doivent partager ce moment avec une tierce personne… Détail supplémentaire à accepter.

Puisque le mieux est de prendre la chose avec le sourire, il n’est pas rare de croiser dans notre couloir des patients roulant à la recherche d’infirmières disponibles en criant : « Bonjour mademoiselle, c’est pour un sondage ! »

De plus, la plupart des paras et des tétras n’ont aucune maîtrise de leurs sphincters, et, pour éviter les fuites entre deux sondages, ils enfilent un « penilex », sorte de préservatif avec au bout un fin tuyau relié à une poche urinaire que l’on maintient dans un filet enroulé au niveau de la cheville.

Ces petits désagréments, invisibles du grand public, représentent souvent la plus grande préoccupation des gens qui ont une atteinte neurologique, parfois même plus importante que l’impossibilité de pouvoir remarcher.

Tous les jours et ce, pendant plusieurs mois, on vit avec le personnel soignant. Un rapport particulier s’installe entre nous. Ce ne sont pas nos conjoints, ce n’est pas notre famille, ce ne sont pas nos amis, on ne les a pas choisis mais ils nous sont indispensables. Ce sont des rapports d’être humain à être humain, alors il se crée forcément des affinités, des tensions, des engueulades. Ils ont un énorme pouvoir sur nous. On dépend d’eux pour le moindre geste, c’est pour ça qu’il est important de bien apprendre à connaître chacun pour obtenir à peu près ce dont tu as besoin. Il faut composer avec leur état de fatigue, leur humeur, leur susceptibilité. Et, comme le quota de personnel soignant par rapport au nombre de patients est loin d’être à l’équilibre, on passe beaucoup de temps à les attendre, c’est inévitable.

Pour avoir nos soins, déjeuner, changer de chaîne, se lever, se laver, s’habiller, se coucher, couper la viande, se servir de l’eau, attraper un truc dans le placard, fumer, on doit attendre notre tour.

Quand tu n’es pas autonome, tu passes plus de temps à attendre qu’à faire les choses.

Un bon patient sait patienter.  

 

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